Au 1er trimestre 2019, les taux des prêts du secteur concurrentiel (hors assurance et coût des sûretés) se sont établis à 1,42% en moyenne (1,48% pour l’accession dans le neuf et 1,45% pour l’accession dans l’ancien), selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA du financement des marchés résidentiels, dont les chiffres ont été présentés le 16 avril dernier. Depuis plus d’une année, les taux des crédits immobiliers se maintiennent donc à bas niveau. Et comme le rythme de l’inflation s’est redressé en 2018, les taux d’intérêt réels sont négatifs pour le 10ème mois consécutif, décrivant une situation inédite depuis 1974 ! Et ce phénomène s'observe sur toutes les durées de financements.
Mais ce n'est pas le seul record : cette situation exceptionnelle des taux d'intérêt s’est accompagnée d’une augmentation spectaculaire des durées des crédits accordés et concomitamment d’une diminution des taux d’apport personnel exigés ! Les banques ont ouvert en grand le robinet du crédit, tendance qui s'était dessinée déjà dès 2016, permettant d'atténuer l’impact la hausse des prix de l’immobilier sur la solvabilité de la demande. En 2018, ces évolutions se sont poursuivies, permettant aux marchés de résister aux conséquences de la dégradation des soutiens publics à la primo accession à la propriété : réduction du prêt à taux zéro (PTZ) dans le neuf, suppression des l'APL accession pour les ménages modestes, diminution des enveloppes de prêts PAS (prêt d'accession sociale) notamment.
Cette évolution a entraîné sur les dernières années une transformation importante de la population des emprunteurs, avec une forte progression des jeunes ménages (les moins de 35 ans passent de 48,5% du total des emprunteurs en 2015 à 53, 3% en 2019, au détriment de toutes les autres classes d'âge) et des accédants modestes (les moins de 3 SMIC passent de 35,7 à 42,5% dans la même période, également au détriment de toutes les autres tranches de revenus !)
Malgré cela - c'est en grande partie l'effet de l'allongement de la durée des crédits et de la baisse de l'apport personnel -, le coût moyen des opérations réalisé par la population d'emprunteurs ainsi modifiée, reste à un niveau très élevé en raison de la hausse des prix, jamais atteint à ce jour : 4,3 années de revenu en moyenne, alors qu'il était de moins de 3 années en 2001...
La politique d'octroi accommodante des banques a eu pour effet de réveiller la production de crédits immobiliers et la porter d'un coup à des niveaux également jamais atteints : mesurée en niveau trimestriel glissant, celle-ci connaît une progression de 22,9% en montants (contre -9,9% en 2018, à la même époque) et de "seulement" 15,8% pour le nombre de prêts (contre -16,9 % il y a un an), compte tenu de l’accroissement du niveau moyen des prêts accordés.
L'observatoire analyse aussi les évolutions récentes de la capacité des ménages à acheter : dans 68% des villes de plus de 100.000 habitants pour lesquelles ont été construits les indicateurs Crédit Logement/CSA et ceux de l'autre observatoire, LPI/SeLoger, tous deux opérés par le professeur Michel Mouillart, indicateurs qui décrivent l'évolution de la capacité des ménages à acheter des appartements anciens, le constat est identique : la surface achetable baisse légèrement (dans 21% des villes) ou se réduit nettement (dans 47% d'entre elles).
Dans la plupart de ces villes, l’évolution des prix détermine sans surprise l’évolution de la capacité à acheter. Depuis 2015, l’amélioration des conditions de crédit a permis d’atténuer la dégradation de la solvabilité de la demande. Mais dans la moitié des villes, les prix ont augmenté trop rapidement ou la situation budgétaire et financière de la demande était trop fragile. Dans la plupart de ces villes, la surface achetable s’est réduite : fortement à Bordeaux ; sensiblement à Lyon, Nîmes, Paris, Rennes ou Strasbourg ; voire à Brest, Caen, Limoges, Nantes ou Toulouse. Mais lorsque les prix ont cru moins vite, diminuant même dans un quart des villes, la surface achetable s’est accrue : fortement à Aix-en-Provence, Le Havre, Marseille, Mulhouse, Perpignan ou Toulon par exemple.
Le glissement de l'activité de crédit vers des clientèles plus jeunes, à plus faibles revenus, pour des durées plus longues et avec un engagement supérieur du fait de la baisse de l'apport personnel, pourrait représenter une prise de risque pour les établissements bancaires, ce qui motive sans surprise quelques avertissements et appels à la prudence de la Banque de France, d'autant que les marges des banques sur ces concours sont au plus bas en raison de la faiblesse des taux. Il est probable que cette tendance s'essouffle dans les temps qui viennent. Celle qui n'est par contre pas près de s'essouffler, c'est celle de la courbe des taux, appelée à rester au plus bas pendant au moins deux à trois ans...
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