Tout n'est évidemment pas à jeter dans ce projet de loi fleuve, alimenté de surcroît par un flot d'amendements. Mais les ambitions affichées se perdent dans un mille-feuille de mesures techniques dont il ne sera pas simple de mesurer l'impact réel, ne serait-ce qu'en raison du délai nécessaire à leur mise en application. Rien en tous cas de nature à enrayer autrement que par homéopathie une dynamique du marché qui éloigne les classes moyennes des coeurs des métropoles, entrave la mobilité et le recrutement des salariés par les entreprises, pèse sur le pouvoir d'achat des ménages, et consolide voire accroît la ghettoïsation de populations entières...
Construire plus, mieux et moins cher ?
Cette partie de la loi vise dans un premier temps à faciliter la production de foncier disponible, en créant deux nouvelles procédures destinées à mieux coordonner les acteurs publics urbains : le "Projet partenarial d’aménagement", les "Grande opération d’urbanisme", et les "Opérations d'intérêt national". La libération de foncier public est une fois de plus encouragée, de même que la transformation de bureaux en logements.
La loi comporte aussi une nouvelle salve de mesures pour accélérer les recours et lutter contre les recours abusifs : l’objectif est de limiter les délais de jugement des contentieux d’urbanisme à 10 mois au lieu de 24 mois.
Est également incluse une nouvelle série de mesures de simplification des procédures d'urbanisme, dont une partie pourra être prise par voie d'ordonnance. Les députés en ont profité pour réduire les prérogatives des architectes des Bâtiments de France (ABF), et assouplir un peu la "loi littoral", tout en faisant une petite fleur aux bailleurs sociaux, si malmenés par ailleurs : ils pourront se dispenser pour leurs nouveaux projets de construction de concours d'architectes, ce qui a fait hurler pendant plusieurs mois toute la profession...
Enfin, en plus du "permis d'innover" ou "permis d'expérimenter", que le gouvernement est habilité à mettre en place par ordonnances par la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, et qui permettra aux constructeurs de déroger aux normes de qualité et de sécurité s'ils peuvent prouver qu'ils arrivent par d'autres moyens techniques au même résultat, la loi ELAN supprime l'obligation de construire 100% de logements accessibles (seuls 20% devront l'être) en la remplaçant par celle de "logements évolutifs" : ils devront "pouvoir s’adapter facilement aux besoins des habitants tout au long de la vie", sans qu'on précise comment et à la charge de qui...
Réorganiser le logement social ?
C'est la partie la plus hasardeuse du projet gouvernemental. Jamais un secteur économique n'avait été brutalisé de la sorte ! Derrière le souci d'économie sur les aides personnelles au logement (APL) - moins de 2 milliards d'euros par an sur un budget qui atteignait 18 milliards, et sans toucher, au delà des 5 euros par mois de baisse décidée en 2017, à la partie de ces aides ayant un vrai effet inflationniste sur les loyers, à savoir celle des locataires du privé - se cache la volonté de bousculer toute la branche du logement social, et de le restructurer pour le rendre moins dépendant des deniers publics. Avec un gagnant : le mouvement Action Logement, dominé par le MEDEF, qui dispose de ses propres ressources, la collecte des 3,5 milliards par an de la PEEC (participation des employeurs à l'effort de construction, le "1% logement")...
L'axe fort de cette politique, qui a commencé dans la loi de finances pour 2018 avec la ponction sur les loyers (800 millions en 2018 et 1,7 milliards à partir de 2019), est en effet de pousser - au besoin de façon autoritaire - au regroupement des organismes HLM, officiellement pour une meilleure efficacité dans leur gestion, et plus officieusement pour la mise en commun de leurs ressources financières, et de relancer l'effort de vente des logements sociaux pour le porter à 40.000 par an : dans un premier temps logement par logement aux locataires (actuellement péniblement 6 à 7.000 par an), et si cela ne va pas assez vite, en bloc, par immeubles entiers, à une foncière en cours de création par Action Logement...
Au risque de brader des patrimoines peu attractifs et de créer, en favorisant au delà du raisonnable l'accession à la propriété des locataires, une multiplicité de copropriétés fragiles, qui seront peut-être demain les subprimes à la française !
Autre aspect caché d'inspiration néolibérale de cette politique, qui rejoint les visées des milieux autour des propriétaires privés et des professionnels, hérissés par la concurrence selon eux déloyale que leur fait le logement social : restreindre le logement aidé aux ménages les plus pauvres, et rendre aux investisseurs privés la partie la plus rentable. Ainsi, la loi ELAN ajoute sans vergogne une brassée de mesures supplémentaires - après déjà la loi Boutin et la loi ALUR - pour renforcer la mobilité dans le parc social, au moyen du surloyer ou en réexaminant la situation des locataires HLM tous les 3 ans, officiellement pour leur permettre d’obtenir un logement mieux adapté à leurs besoins...
En affaiblissant son secteur social et en restreignant progressivement le parc de logements aidés aux populations les plus modestes, le gouvernement tourne en fait le dos à la mixité qu'il proclame, et s'apprête à faire la même erreur que le Royaume Uni, la Suède ou les Pays Bas, qu'ils regrettent à présent. La Commission européenne qui les y a poussés est en train elle-même de faire machine arrière et d'inviter les Etats membres à investir massivement dans le logement abordable !
Répondre aux besoins et favoriser la mixité sociale ?
Sous cet objectif on trouve pèle mêle :
- la création d’un nouveau type de résidence pour les jeunes dans un logement social ;
- la création d'un "bail mobilité" pour répondre aux besoins des étudiants ou professionnels en mobilité : contrat de location meublée de 1 à 10 mois uniquement renouvelable dans ce délai et sans dépôt de garantie ;
- la réorganisation de l'observation des loyers et des dispositifs d'encadrement par plafonnement, rétablis "à titre expérimental pendant 5 ans" ; au grand dam des propriétaires privés qui avaient espéré, après l'annulation des arrêtés à Paris et à Lille, un enterrement définitif de cette mesure honnie ; des modification des modalités de l’ encadrement des loyers par plafonnement dans les zones tendues :
- l'encadrement de la location touristique dans les grandes agglomérations afin qu’elles ne réduisent pas l’offre locative privée : sanctions accrues contre les propriétaires et nouvelles amendes pour les plateformes en ligne ne respectant pas leurs obligations ;
- le renforcement de la prévention des expulsions des locataires surendettés en améliorant et en coordonnant les procédures de prévention des expulsions et de surendettement ;
- la possibilité de réquisitionner des bureaux vacants pour héberger les sans-abris ;
Améliorer le cadre de vie ?
Sous ce chapitre sont regroupées des mesures aux objectifs multiples :
- la création de nouvelles procédures pour la revitalisation des centres ville, sous forme de conventions avec l'Etat permettant de coordonner des opérations d'amélioration de l'habitat (OPAH), des interventions immobilières et foncières contribuant à la revalorisation des îlots d’habitat vacant ou dégradé et incluant notamment des actions d’acquisition, de travaux et de portage de lots de copropriété, des plans de relogement et d’accompagnement social des occupants avec pour objectif prioritaire leur maintien au sein du même quartier requalifié, l’utilisation des dispositifs coercitifs de lutte contre l’habitat indigne, des opérations d’aménagement des espaces et des équipements publics de proximité, de desserte des commerces et des locaux artisanaux de centre-ville et de mobilité ainsi que l’objectif de localisation des commerces en centre-ville, la reconversion ou la réhabilitation des sites industriels et commerciaux vacants ainsi que des sites administratifs et militaires déclassés, des activités ou des animations économiques, commerciales, artisanales, touristiques ou culturelles, sous la responsabilité d’un opérateur, la création, l’extension, la transformation ou la reconversion de surfaces commerciales ou artisanales, ou encore des actions en faveur de la transition énergétique du territoire, notamment de l’amélioration de la performance énergétique du parc immobilier et de la végétalisation urbaine et des bâtiments, et un projet social, pour la mixité et l’adaptation de l’offre de logement, de services publics et de services de santé aux personnes en perte d’autonomie ; bref, du neuf avec de l'existant mais en essayant de mieux coordonner les actions aujourd'hui disparates et en donnant aux préfets un peu plus de pouvoir pour mettre de l'huile dans les rouages !
- un renforcement des moyens de la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil, mais aussi de la lutte contre les squatt ;
- une réforme du droit de la copropriété, à mener par voie d'ordonnances ; dépités par ce dessaisissement de leur pouvoir législatif, les sénateurs ont fait néanmoins passer directement dans la loi quelques mesures éparses glanées ici et là dans les propositions des juristes et des associations de copropriétaires, et rédigées à la va-vite, évidemment sans projet d'ensemble...
Et le numérique dans tout cela ?
Le "N" de "ELAN" laisse le lecteur sur sa faim : il n'est justifié que par trois dispositions principales :
- le carnet numérique du logement, conçu comme un "service en ligne sécurisé qui regroupe les informations visant à améliorer l’information des propriétaires, des acquéreurs et des occupants des logements", et qui sera obligatoire pour les immeubles neufs dont le permis de construire sera déposé à compter du 1er janvier 2020, et pour tous les logements et immeubles existants faisant l’objet d’une vente globale ou d'un appartement à compter du 1er janvier 2025...
- des mesures pour faciliter le déploiement de la téléphonie mobile et de la fibre et accessoirement la "diffusion par voie hertzienne de données horaires du temps légal français" (?)...
- l'encouragement du bail numérique au bénéfice des locataires du parc privé : les annexes au contrat de location seront dématérialisées, la caution pourra l’être également. La loi prévoit aussi d’agréer les professionnels qui utilisent des outils numériques pour éditer les contrats de location.
En conclusion, est-ce la grande "loi logement" que le gouvernement annonçait pendant des mois, et dont il dit toujours attendre qu'elle résolve les problèmes du logement en France ? Probablement pas, même si elle comporte une pelletée de mesures incontestablement utiles, destinées à adapter le droit et les dispositifs publics aux évolutions du moment. Chaque quinquennat doit en produire une, par nécessité : loi "ALUR" en 2014, loi "MLLE" ou Boutin en 2009, loi "ENL" en 2006, etc. Rarement porteuses d'un grand projet - à l'exception de la loi ALUR mais dont les deux idées phares, l'encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers (GUL) ont fait long feu -, elles servent surtout de "vide-grenier" de réformes en gestation dans les ministères ou les milieux du logement ou de l'immobilier, d'où le côté "fourre-tout" qu'on leur reproche...
v. aussi :
- Universimmo.com - 14/2/2018 : Où va le logement social en France ?
- Universimmo.com - 14/2/2018 : Politique du logement : bienvenue en Absurdie !
UniversImmo.com
Commentaire posté par
Jean
, le
15/11/2018 à 15h55 Je suis entièrement d'accord sur le fait que la loi ELAN est un peu un fourre-tout et que beaucoup d'amendements viennent s'y greffer. Cependant, vous évoquez la volonté de résoudre le problème des habitats indignes et il se trouve qu'un nouveau amendement vient de sortir. Il s'agit d'une aide fiscal pour des investisseurs qui se tourneraient vers des travaux dans des immeubles insalubres. Je trouve que c'est plutôt intéressant mais étant un professionnel de l'immobilier (travaillant pour Promoteurs.immo), je me rend compte qu'une fois de plus, cette nouvelle loi sème le doute dans le milieu de l'immobilier car il n'y aurait pas assez de demande locative pour que le nouvel amendement fasse ses preuves... affaire à suivre...
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