La période Duflot : une certaine cohérence
Difficile de prendre la défense de la première ministre du logement du quinquennat, tant les professionnels et les grands médias lui ont fait porter le chapeau de tout ce qui allait mal, y compris lorsque les causes remontaient à la décennie précédente ! Pourtant ses priorités étaient claires : peser sur les loyers et par là même sur les prix - c'est le véritable sens de l'encadrement des loyers (1) -, dégager le foncier de l'emprise des maires en remontant sa maîtrise au niveau des intercommunalités, et mettre le paquet sur le logement social, avec notamment le renforcement de la loi SRU. Tant pis pour le propriétaire privé dont les intérêts s'opposent trop frontalement à ceux de l'économie, son enrichissement s'effectuant au détriment du pouvoir d'achat des actifs et de la marge des entreprises. Evidemment, il ne fallait pas compter sur lui pour maintenir son enthousiasme à l'égard de l'investissement locatif, et reporter l'effort sur le secteur social et intermédiaire institutionnel, seul à même de produire du logement accessible à la demande dans les zones tendues (2). Pourtant on savait depuis longtemps que les coûteux régimes de défiscalisation dans le neuf avaient tendance à n'alimenter qu'assez peu l'investissement locatif dans des secteurs où il était le plus nécessaire.
Si la partition était bonne, l'exécution s'est enlisée en deux années d'annonces puis de débats parlementaires chaotiques, alors que le secteur du bâtiment, soutenu à bout de bras pendant la crise des "subprime", connaissait un ralentissement consécutif au tour de vis budgétaire du dernier gouvernement Fillon : abandon du crédit d'impôt au titre des intérêts d'emprunt, resserrement violent du prêt à taux zéro (PTZ), fin annoncée du régime Scellier...
Mais les professionnels de l'immobilier et les médias ont tôt fait d'attribuer ce ralentissement, qui venait pourtant de loin, à la désespérance provoquée chez les investisseurs potentiels aux mesures qui s'annonçaient : encadrement des loyers, nouvelles mesures de protection des locataires, et même la garantie universelle des loyers (GUL), critique paradoxale et totalement idéologique alors que cette dernière mesure, dont le projet a certes été conduit par la ministre de manière calamiteuse, visait tout de même à protéger les propriétaires contre les impayés (3)...
Bien joué ! Il est vrai qu'en se répandant dans les médias pour annoncer les pires catastrophes, les professionnels (agents immobiliers, promoteurs) ont contribué à alimenter cette désespérance, creusant encore le marasme dans le bâtiment. Au point que même le régime Duflot, qui avait le tort de porter un nom détesté, mais qui n'était qu'une reconduction à peine édulcorée du "Scellier", ne trouvait plus grâce aux yeux des acquéreurs. Cécile Duflot doit être amère de voir aujourd'hui le succès du "Pinel", alors que ce n'est qu'un "Duflot" avec un peu de perlimpimpin...
Le "détricotage" de l'ALUR
Il fallait réagir, pour l'emploi ! On traiterait plus tard les motifs spécifiques de crise du bâtiment comme la concurrence déloyale des sous-traitants et du travail détaché... Cécile Duflot partie, le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, ne s'est pas fait prier, alors même que la loi ALUR, malgré la bronca des professionnels, venait d'être votée par le parlement : coup d'arrêt à l'encadrement des loyers, restreint à Paris et à Lille parce qu'il n'était pas opportun de s'opposer trop frontalement à Anne Hidalgo et à Martine Aubry, quelques options ajoutées au régime Duflot rebaptisé en Pinel, abandon en rase campagne de la GUL (remplacée par un "Loca-pass" modernisé), quelques mesures de simplification des règles d'urbanisme pour faire plaisir aux promoteurs, et surtout un nouveau PTZ très généreux pour le neuf et pour l'ancien avec (gros) travaux.
Bref, un retour au classicisme : subvention de l'achat immobilier et aide indirecte aux propriétaires par le biais des allocations logement et autres APL, qu'on laisse filer (15,7 milliards pour le seul budget de l'Etat en 2017), et qui leur permettent de louer à des prix dépassant la solvabilité normale des locataires. Et ce n'est pas l'encadrement très "soft" appliqué à Paris qui sera de nature à changer les choses, s'il survit au quinquennat !
Et le succès est là : conséquence des mesures ou effet de cycle économique, le marché du neuf et de l'ancien sont repartis. Les promoteurs et les agents immobiliers sont euphoriques et les prix comme les loyers, qui s'étaient assagis, repartent à la hausse. Les médias applaudissent, et tant pis pour les locataires, les actifs qui veulent s'installer, les entreprises qui doivent céder sur les salaires pour pouvoir recruter, et qui elles-même subissent par ricochet des coûts immobiliers élevés... Le marché de l'ancien n'est qu'un marché d'échanges qui ne crée pas de valeur économique mais il tire par osmose les prix du foncier vers le haut. La construction neuve, quant à elle, est bonne pour le PIB, mais il n'est pas sûr qu'elle permette de satisfaire les besoins là où ils sont. Le gouvernement vient de céder une fois de plus aux promoteurs locaux qui font pression sur les politiques, en acceptant un amendement à la loi de finances qui ouvre la voie à des autorisations de Pinel dans la zone C ! Et le nombre de logements vacants faute de locataires augmente, y compris dans les zones tendues, ce qui prouve que cette production ne satisfait pas la demande.
Seule consolation pour le gouvernement : la construction de logements sociaux a atteint des sommets (plus de 125.000 logements mis en chantier cette année), ce qui permet de répondre un peu mieux à la demande, les bailleurs sociaux faisant leur marché à grande échelle désormais chez les promoteurs privés... Autre succès : le retour des institutionnels dans le logement et le redémarrage d'une production de logement intermédiaire, grâce notamment à un investissement important de la Caisse des dépôts et de son bras armé, la SNI. Il est vrai que le développement du Grand Paris leur offre du foncier pas cher et une clientèle nouvelle assurée !
Globalement, les chiffres de la construction ne sont pas si mauvais, si on veut bien admettre que le secteur a été beaucoup plus largement sinistré par la crise des subprime et son traitement ultérieur que par la loi ALUR : en 2015, 351.800 logements ont été mis en chantier et, à fin septembre 2016, le nombre de permis délivrés était pour 432.300 logements tandis que 367.000 étaient commencés.
Une transition énergétique volontariste mais sans grands moyens
La loi de transition énergétique est votée en juillet 2015. Le texte comprend : la réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990) et une division par quatre en 2050 ; également la diminution de moitié de la consommation énergétique finale en 2050, avec un premier palier de 20% en 2030.
Concernant la rénovation thermique des bâtiments, elle sera obligatoire pour tous les bâtiments privés résidentiels, tandis que les nouvelles constructions de l'Etat et des collectivités territoriales devront être "à énergie positive et à haute performance environnementale". Tous les bâtiments privés résidentiels dont la consommation en énergie primaire est supérieure à 330 kilowattheures d’énergie primaire par mètre carré et par an devront au plus tard en 2025 avoir fait l’objet d’une rénovation énergétique. En attendant, il est créé l’obligation, lors de travaux de ravalement ou de réfection de toiture, dans les cas et dans des conditions définies, d’effectuer des travaux d’isolation, même chose pour l’obligation lors de travaux de rénovation importants, "d’installation d’équipements de contrôle et de gestion active de l’énergie".
Mais derrière ces objectifs ambitieux et ces mesures volontaristes, se cache un manque de moyens criant. Et malgré un effort croissant de pédagogie et d'assistance méthodologique et technique, notamment au travers des agences du climat, points info énergie, et autres "Coach copro", les travaux effectifs sont encore loin d'avoir démarré.
L'essentiel des sommes investies pour le moment va à la lutte contre la précarité énergétique, ce qui est une bonne chose ; ils sont puisés notamment dans les fonds du "grand emprunt" (pour les "investissements d'avenir"), et permettent pour les ménages les plus modestes de réduire très fortement le "reste à charge". Mais pour les autres, les investissements sont coûteux, avec un retour incertain. Mettre en mouvement une copropriété en vue d'une rénovation énergétique relève de l'exploit, et pas seulement pour des raisons de complexité technique, souvent réelle ; le maquis des financements est lui aussi si complexe, entre les aides et financements individuels et les financements collectifs, qu'il faut des mois d'études préalables avant que les copropriétaires puissent décider en assemblée générale en toute connaissance de ce qu'ils auront à supporter in fine, et pour la plupart le "reste à charge" demeure élevé... Quant aux espoirs fondés sur le "tiers financement" - le "tiers financeur" finance les travaux et récupère sa mise sur les économies réalisées -, ils restent largement illusoires, pour deux raisons : la difficulté de lever sur le marché des fonds à suffisamment longue échéance, et les temps de retour trop longs actuellement du fait de la modération relative des coûts de l'énergie.
Pas étonnant dans ces conditions que le gros des chantiers se trouve dans la maison individuelle - mais seulement aux deux extrémités de l'échelle des revenus des propriétaires : chez les plus modestes grâce aux aides, et les plus aisés, plus accessibles aux objectifs du développement durable -, et dans le logement social, confronté cependant à un plafonnement de ses moyens disponibles et au problème de l'amiante, susceptible de prélever une part importante de ces derniers.
Notons aussi une autre mesure prise dans ce domaine et beaucoup plus contestable : la généralisation de l'obligation de pose de compteurs pour l'individualisation des frais de chauffage et l'instauration de sanctions pénales en cas de non application (4)...
Un grand nombre de mesures structurelles
C'est sur le plan des mesures structurelles, peu visibles pour les médias, que l'activité de cette période a été la plus intense : multiples améliorations au Code de l'urbanisme, protection du consommateur, réforme des baux commerciaux, réforme des professions immobilières avec instauration d'un quasi-ordre professionnel pour les agents immobiliers, administrateurs de biens et syndics de copropriété, avec capacité de sanctions, mise en place d'un Code déontologie, d'une formation continue obligatoire pour l'ensemble des personnels des cabinets immobiliers et demain de conditions de compétence professionnelle pour l'accès aux professions, enfin de multiples mesures pour protéger les acquéreurs achetant des logements dans les copropriétés et prévenir la dégradation de ces dernières. Une oeuvre de modernisation nécessaire et en profondeur contenue dans plusieurs lois importantes, Hamon, Pinel et surtout ALUR, véritable loi "fleuve" tant elle touche de domaines, et dont il est à parier que l'essentiel restera, même après une alternance politique tranchée, et malgré l'accueil souvent irrité que lui ont fait plusieurs professions - notaires, agents immobiliers, syndics de copropriété - qui n'aiment pas qu'on bouscule leurs habitudes...
Le logement social lâché en rase campagne
Reste un élément clé de toute politique du logement, celle à l'égard du logement social. Sur le papier, les apparences sont sauves : afin de maintenir les aides à la pierre, un fonds national des aides à la pierre a été créé. Il a adopté le 1er décembre, son budget pour 2017, déterminant la programmation et la répartition territoriale de 450 millions d'euros de crédits consacrés aux aides à la pierre en 2017, pour lesquels de nouveaux critères sont apparus. Mais dans les faits, le quinquennat se caractérise surtout par un progressif désengagement de l'Etat derrière Action Logement, devenu au fil des années avec ses presque 4 milliards par an collectés au titre du 1% logement, le principal financeur de la politique du logement et de la rénovation urbaine. Le mouvement HLM pour le reste ne peut plus compter que sur lui-même, notamment grâce à la mutualisation de ses ressources, et à un effort important de rationalisation de ses structures, avec en particulier une concentration des organismes à marche forcée et une restructuration drastique de la collecte du fameux 1% : un seul organisme assurera désormais le recouvrement et l'affectation de cette taxe prélevée sur les entreprises (ils étaient plus de 100 il y a 10 ans...).
Pour le reste, la politique à l'égard du logement social est tout sauf claire. Fournisseur essentiel de logement accessible, il est aussi censé contribuer à la mixité sociale dans les quartiers, donc ne pas se limiter à ne loger que les plus pauvres, ce qui est contradictoire, et attire sur les bailleurs sociaux la critique, de la droite et des milieux proches des propriétaires privés, de loger des "locataires aisés" et donc de faire une concurrence déloyale à ces propriétaires... Le volet logement de la loi égalité et citoyenneté, adoptée en fin de quinquennat et censée combattre l' "appartheid" social dénoncé par Manuel Valls est le témoin de cette difficile synthèse entre nécessité de loger les plus pauvres et celle de ne pas les concentrer au même endroit, donc de les répartir plus largement dans les quartiers "aisés" et faire venir dans les ex-"ghettos" à l'occasion de la rénovation urbaine des populations plus diversifiées...
En même temps, le projet de loi de finances 2017, qui vient d'être adopté par le Parlement, supprime deux mécanismes d’allègement ou d’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) accordés aux organismes HLM. Cette suppression est laissée à l'appréciation des collectivités territoriales mais, si elle était adoptée massivement, elle pourrait mettre en cause l'économie de la construction jusqu'à 50.000 logements par an selon l'USH (union des HLM).
Décidément la cohérence n'aura pas été le marqueur de ce quinquennat, même si les gouvernements successifs n'ont pas, loin s'en faut, fait preuve d'immobilisme...
A venir : Immobilier et logement : quelle politique pour le prochain quinquennat ?
(1) Universimmo.com - 18/3/2014 "Peut-on et doit-on faire baisser les prix de l'immobilier ? 3ème partie : peser sur les loyers"
(2) Universimmo.com - 7/12/2014 "Politique du logement : entre la France des propriétaires et celle des actifs, il va falloir choisir"
(3) Universimmo.com - 18/3/2014 "La GUL devient facultative : chronique d'un détricotage..."
(4) Universimmo.com - 18/3/2014 "Individualisation des frais de chauffage dans les copropriétés : qui va vraiment en profiter ?"
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Commentaire posté par
Christophe
, le
5/1/2017 à 09h46 La politique du logement a une importance capitale non seulement pour répondre au besoin fondamental de se loger, mais aussi pour des raisons économiques (le logement représente jusqu'à 15% du PIB ). Pour le moment, la fin du mandat ne promet pas grand chose comme évolution, l'immobilier en 2017 va vers une sorte de statut quo. Néanmoins le marché semble rester porteur du fait des taux très bas...
Effectivement la politique du logement n'a pas été d'une limpidité totale sur ce quinquennat. Pourrait-on notamment espérer, pour le prochain mandat, un rééquilibrage des relations entre locataires et propriétaires et un oubli définitif de la proposition récurrente de "taxation des loyers fictifs" pour les propriétaires n'ayant plus de crédit ?
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