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Où va le marché immobilier résidentiel ? Le 21/5/2019
UI - Actus - 21/5/2019 - Où va le marché immobilier résidentiel ?
Comme de plus en plus ces dernières années, la réponse devra tenir compte des écarts qui se creusent entre d'un côté les grandes métropoles et leur périphérie immédiate, et de l'autre le reste du territoire, celui des villes moyennes à la peine et les zones rurales. Avec dans les deux cas un risque sur les valeurs immobilières : potentiel pour les premières du fait d'une surévaluation probable des prix, avéré pour le second où les prix sont désormais clairement orientés à la baisse...

Un marché à trois vitesses



C'est ce que révèle mois après mois le baromètre LPI/SeLoger des prix de l'immobilier (1). Dans l’immobilier ancien, les tarifs des appartements peuvent ainsi varier du simple au quadruple entre les métropoles les moins chères que sont Brest (1.902 euros/m²), Grand Nancy (2.053 euros/m²) ou encore Rouen Normandie (2.246 euros/m²) et celle du Grand Paris (7.137 €/m²). Sans mentionner Paris, hors catégorie avec presque 10.000 euros de moyenne ! Les grandes métropoles se détachent nettement : Strasbourg, Nantes, Toulouse et bien entendu Bordeaux, Marseille, Nice, et Lyon. Mais un deuxième marché emboîte le pas, celui des périphéries immédiates des grandes métropoles. Alors que le marché immobilier des villes moyennes est en souffrance : faute d’acheteurs, sur une grande partie du territoire, les prix des logements ralentissent, stagnent voire reculent !

Les secteurs les plus dynamiques ont bien entendu bénéficié des conditions exceptionnelles de financement. Toujours selon LPI/SeLoger, après plusieurs mois d’hésitations, les ventes de logements anciens ont confirmé leur redressement en mars. Au cours des 3 derniers mois, l’activité progresse ainsi de 1.3%, en glissement annuel. Au-delà des fluctuations constatées d’un mois sur l’autre, le nombre de compromis signés au cours du semestre écoulé est ainsi de près de 2% plus élevé qu’il y a un an, à la même époque.

Le dynamisme de l’offre bancaire qui avait déjà permis au marché de résister aux conséquences de la hausse des prix et à la suppression des aides personnelles à l’accession intervenue en 2018 est à l’origine de ce rebond du marché. Depuis plus d’une année, les taux des crédits immobiliers se maintiennent à bas niveau. Et comme le rythme de l’inflation s’est redressé en 2018, les taux d’intérêt réels sont négatifs pour le 10ème mois consécutif, décrivant une situation inédite depuis 1974 ! Et ce phénomène s'observe sur toutes les durées de financements.

Mais ce n'est pas le seul record : cette situation exceptionnelle des taux d'intérêt s’est accompagnée d’une augmentation spectaculaire des durées des crédits accordés et concomitamment d’une diminution des taux d’apport personnel exigés ! Les banques ont ouvert en grand le robinet du crédit, tendance qui s'était dessinée déjà dès 2016, permettant d'atténuer l’impact la hausse des prix de l’immobilier sur la solvabilité de la demande. En 2018, ces évolutions se sont poursuivies, permettant aux marchés de résister aux conséquences de la dégradation des soutiens publics à la primo accession à la propriété : réduction du prêt à taux zéro (PTZ) dans le neuf, suppression des l'APL accession pour les ménages modestes, diminution des enveloppes de prêts PAS (prêt d'accession sociale) notamment.

Cette évolution a entraîné sur les dernières années une transformation importante de la population des emprunteurs, avec une forte progression des jeunes ménages (les moins de 35 ans passent de 48,5% du total des emprunteurs en 2015 à 53, 3% en 2019, au détriment de toutes les autres classes d'âge) et des accédants modestes (les moins de 3 SMIC passent de 35,7 à 42,5% dans la même période, également au détriment de toutes les autres tranches de revenus !)

Malgré cela - c'est en grande partie l'effet de l'allongement de la durée des crédits et de la baisse de l'apport personnel -, le coût moyen des opérations réalisé par la population d'emprunteurs ainsi modifiée, reste à un niveau très élevé en raison de la hausse des prix, jamais atteint à ce jour : 4,3 années de revenu en moyenne, alors qu'il était de moins de 3 années en 2001...

La politique d'octroi accommodante des banques a eu pour effet de réveiller la production de crédits immobiliers et la porter d'un coup à des niveaux également jamais atteints : mesurée en niveau trimestriel glissant, celle-ci connaît une progression de 22,9% en montants (contre -9,9% en 2018, à la même époque) et de "seulement" 15,8% pour le nombre de prêts (contre -16,9 % il y a un an), compte tenu de l’accroissement du niveau moyen des prêts accordés.


Des prix surévalués sur les marché dynamiques ?



La question mérite d'être posée, et les économistes du Crédit Agricole l'ont fait. L'étude livrée dans le dernier numéro de leur revue Perspectives (2) rappelle que les prix des logements ont connu une très forte hausse depuis le début du cycle haussier des années 2000. Pour le logement ancien, qui représente les trois quarts des transactions, la hausse des prix atteint 165% en cumulé entre 1998 et fin 2018. L’essentiel de cette progression, 155%, a eu lieu pendant le boom des années 2000, entre 1998 et 2007. Ensuite, la hausse cumulée des prix a été très mesurée, à travers plusieurs phases successives : repli en 2008-2009, compensé par un rebond en 2010-2011, léger recul en 2012-2015 suivi d’un redémarrage graduel en 2016-2018. A la différence de la plupart des pays européens, la crise économique et financière de 2008 n’a pas déclenché une correction marquée et durable du marché et des prix en France, ce qui aurait permis de resolvabiliser les ménages. Les prix restent donc très élevés.

La hausse des prix a été plus faible en zones non tendues (zones rurales, petites et moyennes agglomérations) mais beaucoup plus marquée dans certaines grandes villes, comme Paris, où les prix ont été multipliés par 4,2 entre 1998 et 2018 !

Les prix sont-ils pour autant nettement surévalués ? Les économistes du Crédit Agricole répondent par l'affirmative, du moins dans les zones à forte demande : les métropoles et leur périphérie immédiate. Moins ailleurs. Et surtout, cette surévaluation est masquée par la faiblesse des taux d'intérêt. Si les taux augmentaient, cette surévaluation apparaîtrait alors beaucoup plus brutalement !

Comment les auteurs arrivent-ils à cette conclusion ? Les deux indicateurs communément utilisés - le rapport prix/loyers et le rapport prix/revenu - leur paraissent trop simplificateurs. Ils préfèrent utiliser deux autres approches : la "prime de risque" et la "capacité d’achat".

La première consiste à considérer que le prix d’un bien immobilier à l’instant « t » est en théorie, comme pour tout actif, égal à la somme actualisée des flux de revenus futurs permis par cet actif : les loyers futurs et la valeur du bien au moment de la revente. Le taux d’actualisation, ou taux de rendement interne, peut être décomposé en somme d’une prime de risque et du taux de rendement nominal d’une obligation d’Etat (placement sans risque). Si la prime de risque est positive, cela signifie que les investisseurs sont correctement rémunérés par rapport au risque qu’ils encourent. On considère en général qu’une prime de risque de l’ordre de 2% correspond à des prix correctement valorisés. Si la prime de risque est très fortement positive, les prix sont sous-évalués. Si la prime de risque est significativement inférieure à 2%, les prix sont surévalués.

Au vu de cet indicateur, les prix étaient, selon le Crédit Agricole clairement surévalués en France, et plus encore à Paris, en 1990- 1992 et en 2007-2008, au moment de l’apogée et de l’éclatement des deux « booms » précédents : la prime de risque était négative ou proche de zéro, avec un net repli du taux de rendement immobilier lié à la forte hausse des prix. Dans les deux cas, ce niveau très bas de la prime de risque a été un des éléments déclencheurs de l’éclatement du boom (voire de la bulle), les acheteurs prenant conscience que le rendement de leur investissement était devenu trop faible par rapport à un placement sans risque.

Actuellement, le diagnostic est plus complexe : au vu des niveaux de prime de risque, les prix ne seraient pas surévalués en France et le sont à Paris, mais modérément. Mais le niveau favorable de la prime est essentiellement lié à des taux OAT 10 ans extrêmement bas. Si ces derniers étaient à leur niveau moyen de 2010-2015, soit 2,2%, les prix seraient surévalués en France. Ils le seraient très fortement à Paris.

L'approche par la capacité d'achat repose sur le ratio de solvabilité des ménages, c’est à dire le remboursement annuel (capital et intérêts) pour un nouvel acquéreur d’un crédit habitat à taux fixe, rapporté à son revenu. À chaque période, on calcule la surface qu’un ménage à revenu moyen peut acheter, au prix, au taux et à la durée de crédit du marché, en respectant la règle d’un ratio de solvabilité de 30%. Sur l’ensemble de la France, la surface achetable par ce ménage moyen évolue de façon cyclique autour d’une moyenne d’environ 90 m2. Les prix sont correctement valorisés si le ménage moyen a la capacité d’acheter cette surface moyenne. Si la surface achetable est nettement inférieure à cette moyenne, les prix sont clairement surévalués, l’acheteur doit opérer des concessions marquées sur la taille ou la qualité du produit. Si elle est très supérieure, les prix sont sous-évalués.

Au vu de cet indicateur, l'étude retrouve les mêmes pics de surévaluation, en 1990-1992 et en 2007-2008. La surface achetable s’est nettement redressée entre 1991 et 1998, de 73 à 110 m2. Ensuite, la surface s’est peu à peu réduite, de 110 à 76 m2 entre 1998 et 2008. Depuis 2008, les ménages se sont resolvabilisés, la surface s’est accrue et se situe en 2017-2018 à des niveaux proches de sa moyenne, 90 m2, voire un peu plus. Les prix semblent donc à peu près à l’équilibre. Mais cela est essentiellement imputable au recul marqué et continu des taux de crédit. La resolvabilisation est donc fragile et menacée par une poursuite de la hausse des prix et une possible remontée des taux. A Paris, on retrouve les mêmes phases cycliques entre 1985 et 2007, autour d’une surface moyenne de 50 m2, avec une amplitude encore plus marquée. Mais à la différence du marché français dans son ensemble, la surface achetable s’est encore réduite et est ramenée à 35 m2 en 2018, malgré le net repli des taux, et du fait des fortes hausses de prix. Le marché est donc clairement surévalué, de près de 30%, au vu de cet indicateur.


Vers une déprime des rendements de l'investissement locatif privé



La hausse des prix accumulée ces dernières années a aussi un effet délétère sur l'immobilier locatif en écrasant les taux de rendement. Les investisseurs tentés par ce type de placement ne peuvent en contrepartie se rattraper sur les loyers : ceux-ci semblent en effet - sauf peut-être à Paris - tendre sur le marché locatif privé vers un point haut, et auraient même amorcé un reflux comme l'a montré la dernière livraison semestrielle de l'Observatoire CLAMEUR (3) : des 20 premières villes de plus de 148.000 habitants, seules 9 ont vu leurs loyers augmenter de plus que l'inflation en 2018 : Rennes, Angers, Bordeaux, Toulon et Paris entre +2,1 et +2,5%, Marseille, Grenoble et Dijon entre +3,2 et +3,7%, et une ville en rattrapage exceptionnel, Villeurbanne avec +6,1%. Et les loyers ont carrément baissé dans 5 autres : Nîmes, Lille, Nantes, Strasbourg et Montpellier : de -0,1 à -0,6 pour les 4 premières, -1,8% pour Montpellier. Enfin entre les deux, 6 villes ont vu leurs loyers augmenter légèrement, mais moins que de l'inflation. Et ce n'est pas un phénomène nouveau : depuis 2013, 70% de ces villes ont vu leurs loyers baisser ou augmenter de moins que l'inflation ! De surcroît, cette tendance touche presque indifféremment toutes les tailles de logement, du studio au 5 pièces et plus.

Mais il y a plus spectaculaire : depuis une décennie, le "saut à la relocation" des époques de hausse continue des loyers a disparu, et depuis 2014, les loyers de relocation sont en baisse par rapport au précédent locataire. Les professionnels mettent ces chiffres en avant pour montrer qu'il n'y a plus lieu de rétablir des dispositifs d'encadrement par plafonnement, comme la loi "ELAN" du 23 novembre 2018 l'autorise à nouveau à titre expérimental pendant 5 ans, Paris, Lille, Grenoble et de nombreux EPCI de la région parisienne ayant manifesté leur intention d'en profiter... De fait, les loyers n'ont augmenté "que" de 2% à Paris, à peine plus que l'inflation, et ont baissé à Lille, alors que l'encadrement par plafonnement a cessé depuis plus d'un an. On pourrait incriminer bien entendu l'autre encadrement imposé depuis 2014 dans les zones tendues, celui en évolution entre deux locataires. Mais cet encadrement aurait permis une certaine augmentation à la relocation, il n'explique pas les baisses ! D'autant qu'un quasi plafonnement, voire des baisses sont également constatées dans les territoires où ne s'applique aucune restriction...

En fait, les données de cet observatoire national, le plus fiable à cette échelle, révèlent année après année une atonie de la demande. Pas de la demande globale, car les difficultés de logement n'ont hélas pas disparu en France, et auraient même tendance à s'aggraver, mais de la demande solvable, éligible aux produits proposés dans le parc privé. Celui-ci se retrouve paradoxalement en excès d'offre, seule explication plausible aux baisses de loyer, y compris dans les zones tendues. Par demande éligible il faut entendre celle qui répond aux critères imposés par les propriétaires : emploi stable, revenus de 3 à 4 fois le montant du loyer et des charges, proposition d'une caution personnelle également solvable, etc. Lorsque les propriétaires privés s'assurent contre les loyers impayés, ce sont leurs assureurs qui exigent ces critères (caution personnelle en moins car le cumul est interdit, sauf pour les étudiants et apprentis), et dans ce cas, eux ou les administrateurs de biens à qui ils confient la gestion, sont enclins à un surcroît de prudence pour éviter un refus d'indemnisation en cas de sinistre...

Ce rétrécissement de la demande éligible, qui rejette une part croissante de la population dans la galère pour trouver un logement, est très clairement expliquée par Michel Mouillart, professeur d’Economie à l’Université de Paris Ouest et opérateur de l'Observatoire CLAMEUR, comme par ailleurs de ceux de LPI/SeLoger pour les prix de l'immobilier et Crédit Logement/CSA pour les crédits immobiliers, et donc au coeur de la donnée statistique en matière de logement et d'immobilier : d'un côté la stagnation voire la baisse de nombreux revenus qui empêche de réunir les 3 à 4 fois le montant des loyers, et la part importante prise par les contrats de travail courts, l'intérim et l'auto-entrepreneuriat (uberisation de nombreuses activités) ; de l'autre, la sortie des plus aisés des éligibles au logement privé vers l'accession à la propriété. A preuve la coïncidence des périodes de stagnation des loyers avec celles de croissance de la primo-accession, et inversement... Du coup, comme l'ont montré de nombreuses études que nous avons déjà rapportées ici, la population des locataires se paupérise et se précarise, ce qui la rend inéligible au logement privé et la pousse vers le logement social, déjà fortement déficitaire, notamment dans les zones tendues.

D'une certaine manière, le marché essaie de s'auto-réguler : confrontés à des prix d'achat des logements en constante augmentation ces dernières années, et des loyers leur assurant une rentabilité très limitée, de nombreux propriétaires se tournent vers le meublé et notamment le meublé de courte durée, dont la location a été considérablement facilitée par l'émergence des plateformes. Mais cela est loin de suffire, d'autant que ceux qui font ce choix se heurtent à l'hostilité et dans certaines villes comme Paris à la répression, l'affectation des logements à cette activité, considérée comme para-hôtelière et donc commerciale, étant sévèrement réglementée.

Dans ce contexte, doit-on encore aider l'accroissement de l'offre de logement privé alors que celle-ci s'avère déjà excédentaire ? Certes, il serait possible de solvabiliser une partie de la clientèle aujourd'hui exclue par une augmentation des aides personnelles au logement (APL). C'est ce qu'on a fait pendant des décennies. Mais ce n'est ni dans le sens de l'Histoire, ni une bonne idée ! On pourrait aussi proposer aux bailleurs privés un système de sécurisation généralisé leur permettant d'ouvrir leurs locations à des publics plus fragiles. Mais une coalition du lobby des propriétaires, des assureurs et des professionnels a, pour des motifs assez largement idéologiques (dénonciation de prétendu "aléa moral"), tué la Garantie universelle des loyers (GUL), pourtant votée dans la loi ALUR et jamais appliquée. La garantie Visale n'en est que le pâle substitut. Il faut aussi prendre en compte le tropisme des bailleurs privés, très attachés à la caution personnelle, qu'ils préfèrent majoritairement aux dispositifs publics ou assurantiels...



(1) baromètre de l’Observatoire des prix de l’immobilier LPI/SeLoger d’avril 2019 (chiffres arrêtés à fin mars)

(2) Crédit Agricole - Perspectives Trimestriel – n°19/087 – Mai 2019 : FRANCE – Immobilier résidentiel : Évolutions récentes et perspectives 2019-2020

(3) CLAMEUR (Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux) – conférence de presse 26 mars 2019 – diaporama de la conférence





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