Des pistes pour le moment très floues...Difficile de discerner une politique dans la déclaration de politique générale du Premier ministre ou dans les propos des deux ministres successifs de la cohésion des territoires et de leurs entourages ! Il faut donc encourager la construction, par ailleurs opportunément génératrice d'activité, d'emploi et de TVA. Pour cela accélérer les permis de construire, "simplifier les normes" pour faire baisser les coûts, combattre les recours abusifs, à croire qu'il en reste encore après trois trains de mesures récentes... C'était la teneur du discours de Jacques Mézard devant les promoteurs le 6 juillet. On parle d'une nouvelle loi "logement et mobilité" qui devrait être présentée cet automne. Avec des mesures tendant à contraindre les locataires ayant atteint un certain niveau de revenu à quitter les logements sociaux. On parle aussi d'un nouveau contrat de location d'une durée de 3 à 12 mois maximum qui s'ajouterait aux deux autres types de contrat existants, et qui serait réservé aux publics les plus précaires (intérimaires, CDD...) leur permettant de "rentrer sur le marché locatif" selon la proposition du candidat Emmanuel Macron durant sa campagne. On n'en sait pas plus, même s'il a été avancé ici et là que ce bail serait sans possibilité de demander la caution d'un tiers, et qu'il serait pour la durée du contrat de travail (1)... Une bonne idée ? A voir : les propriétaires dans les zones tendues, les seules où ce type de mesures est utile, ont maintes fois montré qu'ils n'ont pas de raison de sacrifier sur la sécurité et le loyer, fût-ce avec des avantages fiscaux à la clé. En témoigne le cimetière des idées mirifiques qui font flop car inspirées par une vision rêvée du marché immobilier : Borloo dans l'ancien, Multiloc, et même malheureusement Solibail ou "Louer abordable"... Reste le coût budgétaire des politiques du logement : on sussure que les aides fiscales à l'investissement locatif pourraient ne pas être maintenues, et on pointe du doigt les aides au logement qui avoisinent les 18 milliards par an, comme le rappelle l'audit de la Cour des comptes remis au nouveau gouvernement dès sa mise en place. Mais tout cela reste bien timide et flou face aux enjeux que représente aujourd'hui le logement, tant sur les plans économique et social que budgétaire pour les années à venir ! Le défi du coût économique du logementAvec le regain d'activité sur le marché immobilier, "boosté" par la baisse historique des taux d'intérêt, et la reprise de la hausse des prix, reviennent chez les professionnels, et les médias, qui y puisent exclusivement leurs informations, les appréciations positives : le marché est "dynamique", l'immobilier est au "beau fixe", "bat des records", etc. Cécité tragique alors que les prix du marché immobilier entraînent la hausse les loyers, et le coût de l'immobilier dans son ensemble, que ce soit pour le logement ou pour l'immobilier d'entreprise, et contribuent donc globalement à "plomber" la compétitivité du pays par rapport à ses principaux compétiteurs, et notamment l'Allemagne ! Les entreprises subissent en effet la double peine de loyers chers pour leur propre immobilier, et d'une pression sur les rémunérations de la part de leurs salariés qui subissent des taux d'effort largement excessifs pour leur logement. Par ailleurs, l'économie française souffre aussi d'un handicap au niveau de la mobilité de ces mêmes salariés, par le développement de l'accession à la propriété, et le frein que constituent le coût de la revente et l'acquisition d'un nouveau logement : taux de commissions des professionnels parmi les plus élevés d'Europe, et droits d'enregistrement (ou "droits de mutation" que l'on confond souvent dans l'expression "frais de notaire" avec la rémunération de ce dernier) qui alimentent les caisses des collectivités (11,6 milliards d’euros en 2015) et notamment des communes. François Fillon avait inclus dans son programme initial leur suppression sur les transactions effectuées plus de cinq ans après l’achat initial, mais cette mesure a disparu de son programme final... Le problème est pourtant parfaitement résumé par Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : "la mobilité est effectivement un déterminant du taux de chômage et la France, de ce point de vue, fait moins bien qu’un certain nombre d’autres pays développés. Et ce pour deux raisons : la première tient à la taille du pays, plus un pays est grand, plus le problème d’adéquation entre l’offre et la demande de travail est importante ; la seconde réside dans le problème du logement : en ayant beaucoup de propriétaires et des loyers élevés, la mobilité sur le marché du travail est freinée, notamment lorsqu’on se compare à l’Allemagne". Plus largement selon lui, "le problème du logement constitue un déterminant fort du chômage en France : outre le problème de mobilité qu’il engendre, le fort taux d’effort pour se loger rend impossible toute baisse au niveau du SMIC et induit une forte augmentation du mal-logement, qui elle-même est source d’échec scolaire, de mauvaise intégration sur le marché du travail et d’absences répétées pour raisons médicales". Et de conclure que "la politique du logement est de [son] point de vue la première des politiques de l’emploi que l’on devrait mener en France". Pour peser efficacement sur le coût du logement, rien de tel que la construction, là où des pénuries se font sentir et construire les types de logements qui manquent le plus. Pure logique. Seulement, les zones "tendues" sont celles où la disponibilité des terrains est la plus faible, et c'est pourtant là que l'économie a besoin de logement abordable car ce sont aussi les grands bassins d'emploi : l'Ile-de-France, et les grandes métropoles dynamiques. Construire ailleurs comme on l'a fait ces dernières décennies, encouragés par les politiques de défiscalisation n'a fait que saturer et déprimer des marchés périphériques sans résoudre le problème ! Par ailleurs, la pénurie touche essentiellement le logement abordable : social et intermédiaire. La construction privée n'alimente pas ce segment pourtant le plus stratégique. Les baux type l'ex "bail homologué" de Fillon ou le "bail solidaire" de la FNAIM, fondés tous deux sur des avantages fiscaux sont des chimères. Dans les zones tendues, les investisseurs n'en veulent pas, l'expérience l'a prouvé ! Et cela se comprend : pourquoi les bailleurs consentiraient un sacrifice de loyer pour louer à des populations fragiles, même si cela leur était intégralement compensé par la fiscalité, alors qu'ils peuvent trouver des candidats solides au prix fort... Seuls les institutionnels et les bailleurs sociaux le peuvent, et ce sont eux qui doivent être prioritaires dans les aides à la pierre. Or en dehors des candidats Hamon et Mélenchon, rien de tel dans les autres programmes. Le défi du coût budgétaireFace à cette situation, les pouvoirs publics ont comme d'habitude fait la politique de l'autruche quant aux racines du mal, et tenté au gré des circonstances d'aider un coup les locataires, un coup le bâtiment, un coup les propriétaires pour les inciter à investir, sans accepter d'admettre que ces actions étaient contradictoires, et que s'annulant les unes les autres, elles contribuaient à l'inflation de l'ensemble ! Ainsi, la France est devenue l’un des pays qui dépense le plus pour la politique du logement ! En 2015, 40,8 milliards d'euros, soit 1,9% du PIB, ont été consacrés à la politique du logement, composés pour moitié d’allocations logement et pour un tiers d’avantages fiscaux destinés aux producteurs de logement. Un budget qui ne cesse d'augmenter de surcroît : 32 % de plus qu’en 2006 ! Et sans que les résultats soient à la hauteur ! Comment en est-on arrivés là ? L'analyse de la composition de ces sommes donne l'explication (2) : - le logement social absorbe au total 9,7 milliards d’aides, dont près de la moitié sous forme d’avantages fiscaux : notamment 2 milliards pour la TVA à taux réduit sur les opérations contribuant à la production de logements sociaux, 1 milliard pour l’exonération de l’impôt sur les sociétés pour les organismes HLM, 0,6 milliard pour les exonérations de taxes foncières, et le reste via les avantages de taux des prêts du Livret A ; - le logement privé en absorbe à peu près autant 9,5 milliards, dont les cinq sixièmes sont des avantages fiscaux : 1,7 milliards pour le prêt à taux zéro aux particuliers (PTZ), 2 milliards pour les incitations fiscales à l'investissement locatif privé, et 5 milliards pour la TVA à taux réduit sur les travaux des particuliers ; - les prestations sociales se montent à 20 milliards dont 17,7 milliards au titre des aides personnelles au logement proprement dites. Deux canaux de financement spécifiques drainent 6,2 milliards d'euros, via la Caisse des dépôts pour les avantages de taux des prêts du Livret A, et via le réseau Action Logement, financé par les entreprises, mais auxquelles l’État a donné force contraignante en instituant une contribution obligatoire minimale, la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC). A noter toutefois que sont financés par ce dernier canal l'ANAH, une partie de la rénovation urbaine et des aides comme le "Visale". Les 34,6 milliards restants sont financés par l'Etat (21,4 milliards, les administrations publiques locales (4 milliards) et les administration de la sécurité sociale (9,2 milliards, notamment pour les APL). Le défi du creusement des inégalitésLa question insuffisamment posée est : qui bénéficie in fine de ces 40 milliards par an ? Quelques promoteurs privés, dont la production à fortes marges est "boostée" par la défiscalisation, l'industrie du bâtiment qui reçoit un surcroît d'activité par la subvention à la construction neuve et le soutien aux travaux, les bailleurs dont les loyers sont partiellement pris en charge par les aides personnelles au logement des locataires, et enfin les propriétaires de terrains constructibles dont la valeur est directement gonflée par la hausse des prix de sortie des opérations immobilières, subventionnés par les aides personnelles à l'accession, et la prise en charge d'une partie du coût de construction par les aides à la pierre que sont la défiscalisation de l'investissement locatif privé et les financements dont bénéficie le logement social ! 40 milliards pour un tiers de subventions d'activités économiques non délocalisables - promoteurs, bâtiment - qui ne devraient pas en avoir besoin et pour le reste, les deux tiers, de transferts du contribuable au profit d'une catégorie sociale grande bénéficiaire des évolutions économiques de ces 40 dernières années, les détenteurs de patrimoine. La valeur de ces derniers s'est envolée depuis les années 1990, et en grande partie grâce à l'immobilier (+130% sur les prix en moyenne au cours de cette période). Pour les ménages structurellement propriétaires en 2000 (en moyenne les personnes de plus de 50 ans et "CSP+"), les opportunités de plus-value longue de patrimoine ont été d'une intensité inédite depuis le 19è siècle, la dernière période jusqu'à la seconds guerre mondiale de creusement astronomique des inégalités comme l'a montré Thomas Piketti dans son best seller Le Capital au XXIème siècle (3). Et les politiques publiques, au lieu de compenser la tendance naturelle des sociétés sous économie libérale financiarisée et mondialisée au creusement des inégalités, y ajoutent par des transferts fiscaux et budgétaires, des actifs des classes moyennes en grande partie vers les classes plutôt favorisées et les retraités aisés ! En poussant au passage avec des aides comme le PTZ des cohortes d'accédants à s'endetter au delà souvent du raisonnable, et à s'exposer gravement en cas de retournement du marché... L'urgence : peser sur les prix de l'immobilierIl est donc urgent d'inverser la tendance et pour cela engager une politique de long terme visant à désintoxiquer le pays des subventionnements à contre-emploi et à favoriser un accès abordable au logement pour les catégories qui en ont le plus besoin : les jeunes actifs, les personnes en situation de précarité d'emploi, les victimes du "mal logement" si bien dénoncés chaque année par la Fondation Abbé Pierre. Pour cela il faut certes construire ! Mais pas n'importe quoi comme aujourd'hui grâce aux régime Pinel pour soutenir le bâtiment ! Et en tout état de cause, dans l'état actuel du marché du foncier, la solution par la construction prendrait au mieux plusieurs décennies. Quelles autres solutions pour faire baisser le coût du logement ? Réduire les prix de vente en simplifiant les "normes" est une plaisanterie, pour au moins trois raisons. D'une part cela ne touche que le neuf. Ensuite parce que les efforts de simplification sont une montagne qui n'accouche en général que d'une souris par fait que ce qu'on appelle les "normes" sont souhaitées par la société, pour la sécurité, l'accessibilité, le confort, les économies d'énergie. Enfin parce que, l'effet du jeu du marché, toute réduction des coûts de construction est récupérée par le prix du foncier ! Est pure imposture que de feindre ne pas voir que le prix des terrains, exigés par les particuliers comme par les collectivités qui les maîtrisent de plus en plus, est fixé par rapport au prix de sortie des produits à construire, déduction faite du coût de construction et d'un taux de marge raisonnable. Force est de constater qu'il ne reste que la pression autoritaire sur les prix, et l'outil idoine, dont on feint de ne pas voir l'objectif réel, est bien l'encadrement des loyers. Appliqué plus efficacement qu'aujourd'hui, il peut casser la "dynamique" des marchés des grandes métropoles, dont le tropisme, s'ils sont laissés à eux-mêmes est la hausse ininterrompue des prix comme on le voit aujourd'hui après trois années de politique Valls. C'est aussi le seul moyen d'amorcer et conduire sur la durée la décrue des aides personnelles, puis des autres financements qui minent aujourd'hui les budgets publics, locaux et sociaux. Mais une telle politique nécessite une extraordinaire dose de courage, car elle déclenche l'ire des propriétaires, promptement relayée par les professionnels de l'immobilier et du bâtiment, qui ont tôt fait d'agiter dans les médias la prédiction d'une crise de la construction et de ses effets sur l'emploi ! Prédiction au demeurant auto-réalisatrice comme on l'a vu avec la loi ALUR avant le détricotage de l'encadrement des loyers. Un gouvernement qui s'engagerait dans cette voie doit l'anticiper et orienter l'industrie du bâtiment vers la construction de logements sociaux et intermédiaires, ainsi que vers la réhabilitation lourde - voire la reconstruction - des patrimoines HLM et institutionnels des années 50 et 60, frappés d'obsolescence... (1) Universimmo.com - 7 juillet 2017 Décryptages : Logement : une nouvelle loi avec un nouveau bail d’habitation pour les précaires (2) Cour des Comptes - La situation et les perspectives des finances publiques - Audit Juin 2017 (3) CGEDD Cours - Immobilier – 2017 J. Friggit : Le prix de l’immobilier d’habitation sur le long terme et CGEDD - 10 juillet 2017 Le prix de l’immobilier d’habitation sur le long terme - Évolution du prix de l’immobilier à la vente et à la location (appartements et maisons) : prix de vente, loyer, nombre de transactions, etc. Historique de 1936 à 2017 en France et de 1200 à 2017 à Paris. v. aussi : - Le Monde - Présidentielle 2017 - Les Décodeurs : Les Fractures Françaises - Le logement : les raisons de la crise - Louis Chauvel - La spirale du déclassement - Essai sur la société des illusions - Seuil 2016 UniversImmo.com |
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