A y regarder de près, l'affaire s'est déroulée suivant un scénario implacable, en quatre actes.
Acte 1: écarter les assureursC'est peut-être dès ce stade que le drame s'est joué : parce que les assureurs privés n'avaient pas - à l'exception de trois d'entre eux - joué le jeu de la GRL (Garantie des risques locatifs), conduisant à son échec relatif (1), un dispositif les impliquant semble avoir été dès l'origine écarté, sans aucune explication convaincante ! Qu'ils aient manifesté de l'hostilité à l'annonce du dispositif lors de la présentation du projet de loi "ALUR" (accès au logement et à un urbanisme rénové) est indéniable. Ils n'ont pas manqué de se raviser par la suite et ont multiplié les appels du pied, jusqu'à il y a encore quelques semaines lors d'un Colloque le 20 novembre oraganisé par l'IMSI et UniversImmo-PRO.com sur le sujet. Dans une communication vidéo projetée en ouverture à l'intention des participants à cette manifestation, la ministre fermait une nouvelle fois la porte à une garantie délivrée par des acteurs privés, enclins selon elle à ne retenir que les bons risques et laisser de côté les candidats les plus précaires... Une autre assurance obligatoire, celle de l'automobile prouve après plusieurs décennies d'application qu'il n'en est rien ! Acte 2: flancher devant la création d'une taxeLes assureurs privés écartés, un financement par les bénéficiaires ne pouvait que prendre la forme d'une taxe, de 1 à 2% du montant des loyers. La logique aurait voulu qu'elle soit à la charge des seuls bénéficiaires, à savoir les bailleurs. Le choix a été fait de la partager entre bailleurs et locataires. Une façon de donner suite à la revendication de l'UNPI (Union nationale de la propriété immobilière), lancée il y a trois ans par son très médiatique président, Jean Perrin, d'une garantie universelle au coût partagé par tiers entre bailleurs, locataires et l'Etat. Quoi de mieux que le prendre au mot ? L'Etat et Action Logement (le mouvement des collecteurs du 1%) sont bien de la partie... Mais le piège diabolique s'est refermé : créer une nouvelle taxe sur fond de "ras-le-bol fiscal" savamment orchestré, et de mouvements de "bonnets rouges", de "sacrifiés", de combattants contre l'"équitaxe", et autres contempteurs du "matraquage fiscal, était voué à l'échec ! Alors tant pis : s'il n'est pas possible de créer une nouvelle taxe, alors finançons sur fonds publics, la sécurisation des bailleurs le vaut bien ! Du coup, la question s'est naturellement posée de savoir combien ça coûte. Les assureurs ont quelque peu chargé la note : pour eux il faut compter 1,3 milliard d'euros lors des années de croissance économique et jusqu'à près de 3 milliards en période de récession lorsque les arriérés explosent sous l'effet du chômage. L'inspection des finances a avancé des chiffres plus modérés : un premier rapport de 2012 demandé par Cécile Duflot dès son arrivée était prêt dans les cartons (2) : une garantie universelle couvrant trente-six mois de loyers et dix-neuf mois d'impayés coûterait 736 millions d'euros par an. En réalité, le coût d'une GUL financée sur fonds publics dépend de deux facteurs : le degré d'ouverture de la garantie aux locataires très précaires et à ceux acceptant un taux d'effort frisant voire dépassant les 50%, et l'efficacité du recouvrement, car il n'est pas question que les locataires qui ne payent pas de mauvaise foi soient laissés tranquilles. Un deuxième rapport (3) commandé à la hâte (par qui ?) a ramené les choses dans des proportions plus raisonnables : le coût du dispositif envisagé, s'il ne devait pas être financé par une taxe, serait dans une fourchette entre 245 et... 994 millions d’euros, avec la possibilité de le contenir sous les 500 millions... La politique du logement coûte près de 40 milliards par an, il n'est pas difficile d'en détourner un demi milliard pour la sécurité des propriétaires et le bien-être des locataires. Mais à condition de limiter les garanties ! Acte 3: chercher à limiter le coût pour les finances publiquesSi la ministre continuait à défendre son projet d'une GUL désormais entièrement financée sur fonds d'Etat et de 1%, des tractations en coulisse avec les assureurs, ayant comme porte-drapeau Galian (ex CGAIM) - lié à une FNAIM très en pointe contre d'autres aspects du projet de loi ALUR - ont commencé à filtrer. En fait, le ministère du logement avait entrepris, alors que la première version du projet de loi le repoussait à plus tard, de préfigurer la GUL sans attendre, avec une réécriture complète de l'article 8. Une conférence de presse le 16 décembre a permis de lâcher une partie de la nouvelle mouture : une "garantie socle" publique universelle qui peut s’articuler, au choix du propriétaire, avec une assurance complémentaire facultative ; au titre de cette garantie socle, l’indemnisation s’effectuera à hauteur du loyer médian de référence, qui sera fixé localement par le préfet dans le cadre du nouveau dispositif d’encadrement des loyers ; l’indemnisation du montant des impayés dépassant ce loyer médian relèvera des assurances complémentaires ; la durée d’indemnisation - "de l’ordre de 18 mois" - ainsi que la franchise - "d’une durée minimale d’un mois" - seront précisées par décret ; l’ensemble des locataires dont le taux d’effort est inférieur ou égal à 50% y sont éligibles, mais il va être proposé au Parlement que les étudiants et les ménages précaires puissent bénéficier d’un régime de prise en charge adapté, avec un loyer de référence qui pourra être un peu supérieur aux autres locataires, de même que les locataires logés par l’intermédiaire d’associations d’insertion agréées (en maîtrise d’ouvrage d’insertion, en intermédiation locative sociale ou en gestion locative sociale), qui bénéficieront également d’une plus grande tolérance sur le taux d’effort, et extension du régime d’aide aux dégradations immobilières ; enfin, il est précisé que les locataires indélicats feront l’objet de procédures de recouvrement forcé du Trésor public, qu’ils seront identifiés et qu’ils ne pourront bénéficier du dispositif durant une durée de deux ans... Mais la bombe était dans l'amendement CE624 déposé par le gouvernement pour l'examen le 17 décembre en commission des affaires économiques (c'est le texte issu de ces travaux qui sera présenté aux députés en séance publique le 14 janvier prochain) : la GUL devient facultative, le bailleur conservant la possibilité de demander une caution personnelle ! Le retour arrière est spectaculaire, puisqu'un des objectifs d'une garantie obligatoire était justement d'empêcher cette possibilité ! Acte 4: créer un Locapass bis...Aujourd'hui, les assureurs triomphent et Cécile Duflot, qui a dû - sous quelles pressions ? - manger son chapeau, peut méditer l'adage selon lequel on ne tire pas dans le dos du diable quand on n'est pas sûr de ne pas le manquer ! Leurs relais chez les inspecteurs des finances, et l'énarchie des cabinets ministériels a joué à fond. Ils ont eu ce qu'ils voulaient : la peau de la GUL universelle et obligatoire, et la possibilité de continuer à commercialiser une garantie loyers impayés pour le surplus des risques non couverts par la GUL version mini : la part des loyers impayés dépassant le loyer médian de référence, et les impayés au delà de 18 mois. C'est mieux que rien ! Avec une GUL version initiale, ils perdaient la totalité du marché de la garantie de loyers (15% des bailleurs privés). A noter que le nombre moyen de mois d'impayés en cas de sinistre est de 8,5 mois... Evidemment, le triple objectif de la GUL est bien loin : protéger les propriétaires contre le risque d’impayés et encourager ainsi la mise en location de logements vacants, faciliter l’entrée des locataires dans le logement, en particulier pour les candidats en situation de pouvoir payer un loyer mais disposant de revenus irréguliers ou modestes, et améliorer la prévention des expulsions locatives... Les propriétaires adorent les cautions personnelles. Ils ont l'impression - à tort en fait - d'être mieux protégés que par un assureur. Sur les marchés tendus, où ils ont le choix entre une grande variété de locataires, ils opteront autant qu'aujourd'hui (à 85%) pour la caution. Une GUL version mini, même gratuite, ne les couvrirait que 18 mois - comme naguère le Locapass, durée jugée à l'époque nettement insuffisante - et dans la limite du loyer médian de référence, par définition inférieur à leur loyer réel qui pourra aller jusqu'à 20, voire 30 ou 40% au dessus (loyer médian de référence majoré et complément de loyer exceptionnel éventuel). De plus, il y aura toujours le risque pour eux de se faire retoquer en cas de sinistre s'ils n'ont pas bien évalué le taux d'effort de leur locataire lors de la prise de bail, ou s'ils déclarent tardivement les impayés, ou encore font preuve de "négligence dans l'exercice de leurs droits"... Les grands perdants en revanche sont les associations de locataires, qui s'estiment trahies, mais aussi les partenaires sociaux qui, au sein d'Action logement, portent depuis plus de 10 ans ce projet de sécurisation des bailleurs pour débloquer l'accès au logement. En clôturant le colloque du 20 novembre, après des échanges plutôt critiques sur la GUL y compris des parlementaires de la majorité, Didier Ridoret, président de la FFB, qui accueillait la manifestation, mais aussi responsable logement du MEDEF, a créé la surprise en réclamant la création dans les meilleurs délais d’un dispositif de sécurisation des bailleurs afin de faciliter l’accès au logement des groupes les plus fragiles y compris les salariés précaires. Pour les entreprises, cette création est rendue nécessaire par l’évolution depuis 20 ou 30 ans du marché du travail avec une plus grande précarité notamment pour les jeunes. A ses yeux, ce ne peut qu’un système assurantiel, obligatoire, et un produit de base unique type GRL, non discriminant, exclusif de toute autre forme de sécurisation compris la caution. En manque - réel ou supposé - de compétitivité, les milieux économiques ressentent durement les tensions du marché du logement en Ile-de-France et dans les secteurs à potentiel élevé de développement : le coût du logement locatif - et encore plus celui en accession - bloque toute modération salariale, et les difficultés d'accès aux locations, en raison des garanties exigées par les bailleurs, freinent la nécessaire mobilité de la main d'oeuvre. Le logement des jeunes, des travailleurs précaires des saisonniers est un casse-tête qui requiert une mobilisation permanente des collectivités concernées, un investissement et une créativité qui trouveraient certainement mieux à s'employer autrement... Et maintenant ?S'il n'est pas douteux que les députés voteront le 14 janvier le texte de la commission sans grand changement, il reste encore le Sénat : des sénateurs tels que Marie-Noëlle Lienemann, porteuse en 2002 du projet de CLU ("Couverture logement universelle"), ou Daniel Raoul qui a présidé récemment un groupe de travail mixte, majorité-opposition, concluant à la nécessité d'un dispositif obligatoire, pourraient ne pas se laisser faire ! Resterait alors la Commission mixte paritaire, mais la pression de Bercy risque d'être trop forte. On se rappellera alors une fois de plus le mot de la fin de Louis Jouvet dans "Quai des Orfèvres" : "on s'excite, on s'excite, on croit tenir une belle affaire, et ça finit comme d'habitude, en pipi de chat..." (1) Universimmo.com - 1/2/2013 GRL : le gouvernement travaille sur une garantie élargie et obligatoire pour les bailleurs (2) Universimmo.com - 9/10/2013 Garantie universelle des loyers : un rapport de l'inspection des finances indique la voie à suivre (3) Universimmo.com - 2/12/2013 Garantie universelle des loyers (GUL) : nouvelle évaluation du coût potentiel (4) "La GUL: pourquoi? Comment?", Colloque organisé par l'Institut du Management des Services Immobiliers et UniversImmo-PRO.com : - La GUL " Le Texte présenté au Senat est squelettique" Daniel Raoul -*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-* Inscrivez-vous pour revevoir gratuitement notre lettre Des réponses à vos questions !!! 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