ACTUS
Le blues des propriétaires : mythe ou réalité ?
Le
29/3/2006
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A en croire l'UNPI (Union nationale de la propriété immobilière) qui tenait colloque le 28 mars, les petits propriétaires ne voudraient plus investir dans l'immobilier : fiscalité trop lourde, gestion trop incertaine, contraintes excessives... Pire, découragés par une législation qui fait la part trop belle aux locataires, ils préfèreraient garder vacants leurs logements plutôt que risquer les impayés et les tracas avec des locataires indélicats face auxquels ils se sentent désarmés ! D'où un appel aux politiques pour plus de flexibilité - le contrat de location "à l'essai" inspiré du CNE (contrat nouvelles embauches) - moins d'impôts, moins de réglementation, des expulsions immédiates en cas d'impayés ou de mauvais comportement, et un avertissement : écoutez-nous sinon ne vous étonnez pas si les propriétaires aient envie de faire de la politique !
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Les deux tiers des propriétaires privés particuliers adhérents de l'UNPI (Union nationale de la propriété immobilière) ne veulent plus investir dans l'immobilier locatif, découragés par la lourdeur de la fiscalité et de la réglementation : c'est ce qui ressort d'une enquête par questionnaire réalisée par l'UNPI auprès des membres de ses chambres régionales ou départementales à laquelle 3.000 d'entre eux ont répondu, et dont les résultats étaient présentés en ouverture de son colloque le 28 mars 2006 sur le thème de "la fiscalité du patrimoine". Véritable cri de révolte des propriétaires qui comptaient manifester dans la rue à l'issue du colloque pour faire entendre leur voix - ironie du sort le jour où entre un et trois millions de manifestants défilaient dans toute la France contre le "CPE"...
Selon l'enquête de l’UNPI, 75% des propriétaires ayant répondu au questionnaire déclarent ne plus vouloir investir et pour 58% d'entre eux, la fiscalité est trop lourde, la rentabilité insuffisante, le rapport bailleur/locataire trop déséquilibré et la gestion locative trop réglementée. Il faut dire qu'ils sont déjà fortement engagés dans l'immobilier puisque 94% d'entre eux possède sa résidence principale, et entre 52 et 57% possèdent entre 1 et 5 biens locatifs...
93% n'ont pas de problème de relations locatives même si 36% déclarent avoir eu des retards de paiement réglés directement à l'amiable. "Seuls 2% des bailleurs privés ont des contentieux. Cela paraît faible au premier abord, mais rapporté aux 5 millions de logements locatifs privés, ils représentent 100.000 personnes par an qui sont définitivement dégoûtés de l'immobilier et découragent leur entourage", a déclaré Jean Perrin, président de l'UNPI.
La révolte fiscale porte majoritairement sur l'ISF (58%) alors que seuls 11% y sont assujettis. "Cela paraît étonnant mais cela signifie qu'ils sont nombreux à penser qu'ils ne sont pas loin de la limite de cette fiscalité et qu'ils risquent d'y être assujettis d'ici peu", commente M. Perrin. Près de la moitié des propriétaires (45%) déclare que l'impôt le plus lourd porte sur le revenu, et un sur deux cite les charges liées à la CSG-CRDS.
Les incitations fiscales les laissent froids exceptées les aides pour les grosses réparations et améliorations (50%) et celles pour la transmission du patrimoine (29%). Toutefois, sans incitation fiscale, 59% de propriétaires auraient procédé à de grosses réparations et travaux d'amélioration.
Blues des bailleurs ou des seuls adhérents à l'UNPI ?
La question est légitime tant ces résultats diffèrent sensiblement de ceux d'une autre radiographie, réalisée il y a peu par l'ANAH (Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat) sur un échantillon représentatif et par un institut d'enquêtes professionnel (1), et dont nous rapportions les grandes lignes en février 2006 (2) : un peu plus âgés (56% ont plus de 60 ans et seuls 6% ont moins de 40 ans alors que cette proportion est de 14% dans l'échantillon de l'ANAH), les propriétaires UNPI sont aussi plus nombreux retraités (56% contre 43%) et possèdent apparemment un patrimoine immobilier plus important : 22% d'entre eux possèdent plus de 10 biens !
Mais surtout l'attitude face à l'immobilier locatif d'est pas de même tonalité : 92% des sondés pour l'ANAH considèrent que l'immobilier est un placement au moins aussi rentable à long terme que les autres (59% le considèrent même meilleur) et - flambée des prix aidant - ils sont même 84% à en penser autant à court terme ! La conservation de la valeur et l'objectif de plus-value étayent cette appréciation, mais ils sont quand même 39% à apprécier le niveau du revenu locatif, il est vrai pour beaucoup grâce aux incitations fiscales disponibles. Celles-ci, jouissant chez eux, contrairement aux adhérents de l'UNPI, d'une plutôt bonne notoriété, et 58% d'entre eux déclarent avoir bénéficié d'une aide à l'investissement (les dispositifs Quilès, Méhaignerie, Besson et Robien en représentant environ la moitié) !
Il est vrai que la désaffection des adhérents de l'UNPI est elle-même à relativiser : si la direction du mouvement a voulu retenir le chiffre global de 75% de non-investisseurs, l'appréciation est cependant variable selon les tranches d'âge : 57% des 20-40 ans se déclarent prêts à investir encore dans l'immobilier et 63% de cette tranche d'âge déclarent même qu'ils le feraient sans incitation fiscale ! La proportion des "prêts à investir" tombe à 40% chez les 41-60 ans et à 16% chez les plus de 60 ans, ce qui n'est somme toute pas si surprenant...
L'image que veut projeter l'UNPI est aussi contredite par les faits : le parc locatif privé n'a pas diminué au cours des 20 dernières années : hors parc sous le régime de la loi de 1948, dont on sait que sa libération conduit la plupart du temps à la vente quand ce n'est pas pour la partie la plus vétuste à la démolition, le parc privé "libre" est passé de 3,862 millions de logements en 1984 à 4.830 millions en 2002 (enquêtes logement de l'INSEE) !
Et ce malgré les reprises pour habiter, les ventes - qui se font en très grande proportion à des futurs occupants -, les décès, successions et partages qui aboutissent très souvent aussi à des ventes ou des occupations par les héritiers ! C'est donc bien qu'un apport constant de nouveaux investisseurs est venu remplacer les retraits du marché locatif, évalués à environ 150.000 unités, et ce n'est pas l'engouement actuel pour l'amortissement "Robien" qui va le démentir, même si une partie de ces investisseurs ne vient que pour l'avantage fiscal : les quelques 50 à 60.000 achats annuels de biens neufs sous ce régime ne sont donc pas les seuls et de loin à alimenter le parc locatif !
Une vision idéologique contredite par les faits
Autre contradiction : la dénonciation d'une fiscalité croissante alors que celle-ci n'a cessé, sous tous les gouvernements récents, d'être réduite : baisse de près de moitié des droits de mutation, TVA à 5,5% sur les travaux d'entretien, report des déficits fonciers sur le revenu global, baisse de la taxation des plus-values, multiplication des régimes d'incitation fiscale, et encore aujourd'hui baisse globale de l'imposition des revenus fonciers à compter des revenus de 2006, révélée par toutes les simulations de l'effet de la réforme de l'impôt sur le revenu !
Reste évidemment l'ISF, mais là encore c'est plus une résistance idéologique qui conduit à le combattre qu'un poids insupportable qu'il aurait sur des petits propriétaires à faibles revenus : les analyses montrent en effet qu'il ne devient une charge significative que pour des patrimoines eux-mêmes significatifs, pas pour ceux des adhérents moyens de l'UNPI...
bailleurs-employeurs : même combat !
Du coup, on peut légitimement se demander si ce qu'exprime en fin de compte l'enquête de l'UNPI, ce n'est pas la même révolte que celle d'une autre France, celle des employeurs demandeuse du CNE et du CPE : celle qui regrette l'âge d'or du bailleur et de l'employeur tout puissant, pouvant mettre dehors du jour au lendemain le locataire impécunieux comme le salarié récalcitrant, celle qui ne supporte plus la multiplication des règlementations et des contraintes. Celle enfin qui refuse de voir dans le locataire un client et dans le salarié une ressource humaine, susceptibles l'un et l'autre d'exprimer des exigences alors que, cigales insouciantes droguées de consommation, ils devraient leur être redevables du logement ou de l'emploi offert, alors que eux, fourmis industrieuses, se sont privés pour se constituer un patrimoine, à transmettre - si possible sans droits spoliateurs - à leurs enfants et petits enfants...
France passéiste, nourrie des fables de la Fontaine quand bien même elle se pare de l'apparence moderne d'un néo-libéralisme de plus en plus tendance, refusant en fait le principe même de l'économie de marché fondée sur la satisfaction du client et la concurrence par la qualité de la prestation et le prix !
D'où cet étrange réflexe qui a conduit l'UNPI - certes par esprit de provocation, ce dont les dirigeants ne se cachent pas - à proposer un contrat de location dit "à l'essai", inspiré du CNE : aux 9e et 21e mois, le propriétaire pourrait donner congé au locataire avec un préavis de 3 mois sans nécessité de justification comme actuellement pour reprise, vente ou motif légitime et sérieux. Au bout de deux ans sans préavis, le bail deviendrait "à durée indéterminée" et retomberait dans le droit commun...
Même aversion pour la nécessité de justifier un congé ou un licenciement, pour l'obligation de respecter une procédure, pour la possibilité même pour le locataire ou le salarié de contester la décision, et - horreur - de saisir la justice dont on sait de quel côté elle est...
Même raisonnement conduisant à mettre en valeur les avantages d'une location même précaire par rapport à pas de location du tout, Jean Perrin allant même jusqu'à revendiquer la possibilité (qui existe d'ailleurs déjà soit dit en passant) de mettre en location des logements pour quelques mois "parce que ça vaut mieux que de laisser des gens dans la rue"...
Même promesse enfin de mettre des logements vacants sur le marché comme celle de créer des emplois : 300.000 logements pourraient par ce type de contrat être miraculeusement proposés en quelques mois - "le temps d'un coup de peinture" - alors que rien ne vient étayer ce chiffre ! Notons à l'occasion que le nombre de logements vacants - moins de 2 millions, soit 6,8% du parc immobilier, taux le plus bas depuis la fin des années soixante selon l'INSEE - est parfaitement connu par les recensements y compris dans sa composition précise, mais le secret est un des mieux gardé : aucune analyse n'indique où il est situé, ni dans quel état il est ! Mettre en location un logement de ferme sans confort au coeur de la Creuse profonde n'est pas forcément un remède à la crise du logement à Paris intra muros...
Il faut dire que l'idée de l'existence d'un parc immobilier caché arrange beaucoup de monde : à gauche il permet aussi d'entonner la traditionnelle dénonciation des spéculateurs comme naguère celle des affameurs du peuple...
Elle est malheureusement contredite aussi par les faits : à preuve le rendement médiocre de la taxe sur les logements vacants (que le gouvernement veut ces jours-ci alourdir par la taxe d'habitation), et les résultats décevants des efforts faits par la Ville de Paris pour amener des propriétaires de logements vacants à les mettre en location malgré l'offre d'avantages mirobolants !
Une forte réticence à la location sociale
Si le parc privé n'est pas, loin s'en faut, un parc réservé au locataires aisés - 62% du parc est loué moins de 600 euros par mois selon l'enquête de l'ANAH et l'UNPI avance avec vraisemblance que 75% du parc privé loge des locataires dont les ressources sont en dessous des plafonds pour l'accès aux HLM -, sa vocation n'est clairement pas de loger des locataires à faibles ressources. La sécurité passe avant la solidarité : 22% des sondés pour l'ANAH déclaraient avoir tout de même loué à ce type de locataires, mais de manière générale ils se retranchent derrière une pluralité de raisons pour ne pas le faire : n'a pas l'occasion, propose un logement de standing inadapté, passe par agence ou notaire, etc. Ceux qui l'envisagent exigent des garanties - tiers payant pour l'allocation logement, assurance loyers ou garantie FSL ou 1% logement, etc. - et des compensations : avantage fiscal, aide pour les travaux... La récupération du logement en fin de bail est aussi une condition sine qua non ! Le refus frontal n'est exprimé que par 13% des bailleurs...
Un tiers seulement accepte d'envisager des loyers "maîtrisés", à condition là aussi de se couvrir de garanties, de conserver le choix du locataire et la liberté de récupérer le logement en fin de bail !
Or les garanties offertes pour le moment ne suffisent pas : le gouvernement qui mise sur le "Loca-pass" pour rassurer les candidats au CNE ou au CPE fait fausse route ! Jean Perrin confirmait encore le 28 mars ce que l'on sait depuis longtemps sur le terrain : les bailleurs privés ne sont pas rassurés par le Loca-pass ; trop long à se mettre en place, trop lourd à mettre en jeu, trop court dans sa durée de garantie. Il est vrai que les organismes distributeurs (les collecteurs du 1%) ne semblent pas être tous d'une efficacité à toute épreuve dans sa mise en oeuvre...
Quant aux dispositifs que le gouvernement prépare pour la sécurisation des bailleurs (3), usine à gaz dont il a le secret, il y a peu de chances que les intéressés s'y précipitent : les conditions requises pour en bénéficier sont notamment d’accepter de conventionner leur logement et de souscrire à une police d'assurance pour impayés de loyer respectant un cahier des charges social...
Seul moyen selon le président de l'UNPI de sécuriser vraiment les bailleurs : une couverture des risques d'impayés universelle, couvrant tous les loyers, et financée par tiers par les bailleurs, les locataires et l'Etat, notamment sur les ressources du 1% logement. Erreur stratégique funeste ? Cela ressemble comme deux gouttes d'eau au projet de "CLU" (Couverture logement universelle) lancé par la gauche à la veille de l'élection présidentielle, et rejeté à l'époque avec véhémence dans les milieux proches des propriétaires, dont l'UNPI...
Et pourtant de vraies raisons de se plaindre...
Et si le lobby des propriétaires se trompait de combat ? A l'instar de notre confrère Le Moniteur, qui dans un billet se demandait le jour du colloque de l'UNPI si les positions prises par cette dernière ne posaient pas la question de la forme que doit prendre le combat syndical, et si le rôle des dirigeants était de caresser leurs troupes "dans le sens du poil ou, au contraire, les tirer dans une direction qu'elles ne prendraient pas spontanément" (4), nous ne pouvons que nous étonner de ne pas voir les propriétaires dénoncer les deux vrais fléaux qu'ils redoutent le plus, et à raison :
- la difficulté scandaleuse d'obtenir facilement et dans des délais décents une décision de justice équitable : complexité des procédures et morgue des magistrats vis à vis des justiciables se présentant en personne obligeant dans la pratique à recourir à un avocat, reports et délais d'audience puis d'obtention de jugement inacceptables, résistance à prendre en compte à leur vraie hauteur les frais du demandeur, procédure d'appel hallucinante, etc.
- la difficulté tout aussi scandaleuse d'obtenir l'exécution des décisions de justice, et notamment des décisions d'expulsion, pour la raison avouée de pénurie de solutions de relogement, qui nous renvoie à la crise du logement social dans laquelle l'Etat s'est laissé enfoncer !
Nombre de ces décisions, que les tribunaux accordent contrairement aux idées reçues ou diffusées à dessein quasi-automatiquement en cas d'impayés non régularisés, restent lettre morte faute du nécessaire "concours de la force publique" ! Certes, les propriétaires informés savent qu'ils peuvent, en cas de refus de ce "concours" se faire indemniser par l'Etat de l'immobilisation de leur bien. Mais même ce pis aller est aujourd'hui menacé : une circulaire aux préfets d'octobre 2005 leur recommande de négocier à la baisse les indemnités demandées ! Explication : en 2005, le ministère de l'intérieur a versé quelque 77,5 millions d'euros à ce titre et ce poste budgétaire n'a cessé d'augmenter ces dernières années : 48,4 millions en 2000, 61,7 en 2003. Or le ministère de l’intérieur, qui supporte la charge de ces indemnités a décidé de mettre celui des affaires sociales au pied du mur afin qu’il prenne en charge le fardeau puisque les refus de concours découlent de motivations "humanitaires"...
Il est vrai que ces deux carences dont les propriétaires bailleurs sont les premières victimes, ne sont que le résultat de l'impécuniosité de l'Etat, elle-même produit de l'idéologie du "moins d'impôt - moins d'Etat", à laquelle pourtant le lobby des propriétaires souscrit des deux mains, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes ...
(1) Les propriétaires bailleurs en 2005 - Enquête réalisée en juin 2005 par SEREHO en face à face à domicile, selon la méthode des quotas, auprès d'un échantillon national représentatif de 608 bailleurs
(2) notre article dans la série "Les français et l'immobilier" Bailleurs privés qui êtes-vous ?
(3) l’article 32 de la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne en attente des textes d'application
(4)"Logement: questions sur la pratique syndicale" par Françoise Vaysse - Le Moniteur-expert 28/3/2006
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