ACTUS
Les bailleurs vont-ils vers une raréfaction des locataires solvables ?
Le
8/8/2005
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Hausse générale des loyers, baisse du pouvoir d'achat des salariés et fonctionnaires, augmentation des emplois précaires, à temps partiel ou intermittents : autant de facteurs dont la combinaison risque dans les temps qui viennent de restreindre, pour les bailleurs privés qui doivent trouver un nouveau locataire, la clientèle répondant aux critères habituellement fixés pour consentir une location : situation professionnelle stable, ressources mensuelles du ménage entre trois et quatre fois le montant du loyer et des charges, etc. A ce train, il n'est pas exclu de revoir comme dans les années 1993-94 des appartements rester vacants faute de candidats solvables, et des propriétaires confrontés au dilemme : baisser le loyer ou accepter des locataires qu'ils n'auraient pas pris auparavant ! Certes on n'en est apparemment pas encore là, mais mieux vaut s'y préparer car en principe tout semble nous y conduire...
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Une hausse des loyers supérieure au pouvoir d'achat
C'est de loin la première cause de rétrécissement du marché des locataires solvables : alors qu'il s'avère que le pouvoir d'achat des salariés et des fonctionnaires a stagné voire légèrement reculé en 2004 et que l'INSEE annonce timidement une hausse de 0,5% du pouvoir d'achat global des ménages en 2005, les loyers des nouvelles locations a augmenté de 6,4% en 2004 et même de 7,5% dans l'agglomération parisienne selon l'OLAP (Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne) et rien ne semble ralentir ce rythme ! Si l'exigence de solvabilité des bailleurs s'apprécie comme c'est légitime sur la disposition de revenus d'un certain nombre de fois le montant du loyer et des charges, cette hausse a pour effet mécanique de réduire progressivement la population éligible, phénomène de surcroît amplifié par le recul de la stabilité des situations professionnelles...
Une forte proportion d'emplois précaires et d'actifs en sous-emploi
Et c'est le second grand facteur défavorable aux bailleurs : si le pourcentage des salariés en contrat à durée déterminée (CDD), apprentis et intérimaires reste stable dans le secteur privé (10,45% des actifs en 2004 contre 10,40% en 2002), il progresse dans le secteur public (10,36% contre 9,98%) ; par ailleurs, pendant la même période, le chômage a progressé (9,91% contre 8,96%) ; enfin les emplois à temps partiel et les personnes en "sous-emploi", s'ils restent stables en pourcentage des actifs, ils en représentent une proportion importante (19,49%) ! Au total plus d'un tiers des actifs se trouve sans emploi stable et à temps complet...
D'autant que ce phénomène pénalise les tranches d'âge les plus jeunes qui sont la clientèle privilégiée des propriétaires !
Et ce ne sont évidemment pas les mesures "Villepin" contre le chômage qui vont améliorer la situation : le contrat "nouvelles embauches" et sa période de deux ans pendant laquelle l'employeur pourra le rompre sans justification pourra peut-être permettre la création de nouveaux emplois, mais il risque également, par un effet "d'aubaine" constaté fréquemment avec les mesures d'aide à l'emploi, prendre la place d'authentiques contrats à durée indéterminée (CDI), et imposer une période de deux ans de précarité à des salariés qui auraient été embauchés normalement, les empêchant pendant cette période de pouvoir prétendre à une location ou un crédit immobilier...
La sécurisation des bailleurs : peut mieux faire...
Cette évolution ne laisse pas les bailleurs tout à fait démunis : si, n'ayant pas vocation à prendre des risques, il est normal qu'il s'entourent de garanties quant à la capacité de leurs locataires à faire face au paiement du loyer et des charges, deux outils leur permettent aujourd'hui de se couvrir des risques d'impayés :
- Les assurances privées de "garantie loyers impayés" : elles sont proposées par une grande majorité d'administrateurs de biens pour les bailleurs qui ont recours à leurs services, mais elles peuvent aussi être souscrites en direct auprès de courtiers spécialisés ; elles couvrent jusqu'à deux ans de loyers et charges - soit le risque en principe maximum que court le propriétaire en cas d'insolvabilité de son locataire, le temps d'obtenir l'expulsion ou à défaut de voir l'Etat se substituer en cas de refus de concours de la force publique... - ainsi que les détériorations immobilières.
Ces contrats privés ne sont toutefois pas une panacée : s'ils couvrent le bailleur du risque lié à un accident de la vie ou un brusque revers de fortune du locataire, leur souscription ne peut s'envisager qu'à condition que le locataire couvert présente au moins lors de la conclusion du bail toutes les garanties de solvabilité habituellement retenues : notamment des revenus à hauteur de quatre fois le loyer et les charges et une situation professionnelle ultra-sécurisée. Pas question donc de voir ce type de garanties permettre de louer à des candidats en situation précaire...
- Le "Loca-pass" : proposé par les organismes collecteurs du "1% logement" ou les "CIL" (Comités interprofessionnels du logement), c'est un "sésame" providentiel pour de nombreux candidats en leur procurant une avance du dépôt de garantie et une caution solidaire pour leur propriétaire à hauteur de 18 mois de loyer et de charges, y compris pour de larges catégories de candidats qui ne pourraient espérer avoir normalement accès à des locations dans le secteur privé : étudiants boursiers, jeunes de moins de trente ans en formation professionnelle, en recherche d'emploi ou en CDD, etc.
Est-ce pour autant suffisant ? Pas tout à fait : si après une période de réticence des propriétaires le succès de "Loca-pass" est désormais réel (476 815 dossiers mis en place en 2004, représentant 250 millions d'euros de décaissements pour l’avance du dépôt de garantie et 1,4 milliards d'euros d’engagements pour la garantie de paiement des loyers et charges), de larges catégories de populations à difficultés sont laissés de côté : jeunes artisans ou commerçants, "free lance" et indépendants récemment installés, chômeurs ou titulaires de CDD de plus de trente ans, etc.
Reconnue comme nécessaire depuis longtemps et leitmotiv des communications gouvernementales depuis trois ministres du logement et deux ministres des finances, la sécurisation des bailleurs pour ce type de candidats n'a finalement fait l'objet que d'une "mesurette" inscrite à la hâte dans la loi du 26 juillet 2005, initialement prévue pour les services à la personne (2) : au lieu de mutualiser les risques des bailleurs sur une large échelle au moyen d'un "super Loca-pass" accessible à toutes les catégories de candidats comme le suggérait le projet de "CLU" (Couverture logement universelle) de la précédente majorité, le dispositif mis en place, compliqué et limité, risque de faire long feu !
Il consiste en une aide et un crédit d’impôt en faveur de la souscription d’assurances de loyers impayés d'un type particulier pour les bailleurs qui acceptent de faire du "social" : des compensations seront versées sur les fonds du "1% logement" aux compagnies d'assurance qui proposeront des contrats d'assurance contre le risque de loyers impayés respectant un cahier des charges sociales établi par l'UESL (Union d'économie sociale du logement, qui regroupe les organismes collecteurs du 1% logement) et approuvé par décret ; ce cahier des charges exclura toute pratique discriminatoire à l’égard des ménages les plus défavorisés et encadrera les loyers à un niveau qui devrait être aligné sur celui des logements sociaux ou intermédiaires.
L'UESL sera chargée d'assurer le financement de ces compensations dans le cadre d'une convention avec l'Etat.
Par ailleurs, les bailleurs conventionnés (article L 353-2 du Code de la construction et de l’habitation) bénéficieront d'un crédit d'impôt égal à 50 % du montant de la prime d'assurance payée au cours de l'année d'imposition, si le contrat respecte ce cahier des charges. Ce crédit d'impôt ne sera toutefois pas cumulable avec la déduction du montant de la prime d'assurance impayés de loyers que les bailleurs ont la faculté d'opérer sur leurs revenus fonciers...
Cette aide aux assureurs et ce crédit d'impôt sont évidemment nécessaires car on imagine que les assureurs, qui ne pourront pas imposer à leurs souscripteurs de respecter dans la sélection des candidats locataires les critères de solvabilité habituels, devront se rattraper par des taux de prime nettement supérieurs à ceux pratiqués dans les contrats actuellement sur le marché ! Vu cependant le faible nombre de bailleurs privés tentés par la location "sociale", il est permis de douter que la mesure soit à la hauteur des ambitions longtemps affichées...
Une nécessité pour les bailleurs : affiner l'analyse de risque
Nul doute que les propriétaires des biens les plus attractifs, même si la tendance actuelle se confirme voire s'amplifie, continueront à sélectionner leurs locataires comme ils le font aujourd'hui, en mettant toutes les chances de leur côté. Les autres, ceux dont les logements sont moins bien situés ou de moindre qualité, devront probablement en rabattre : soit sur le loyer, soit sur la sécurité, soit même sur les deux !
Et probablement affiner leurs critères d'analyse : un candidat enchaînant des CDD ou des missions d'intérimaire dans des métiers qui ne connaissent pas le chômage n'est pas plus dangereux qu'un salarié en poste depuis trente ans dans la même entreprise et à la veille d'une délocalisation ! Publiée en décembre 2004 par le ministère du travail, une étude met en évidence cinq métiers "sous tension" qui souffrent d'une grande pénurie de main d'oeuvre et pratiquent à grande échelle les emplois temporaires : maçons qualifiés, électriciens du bâtiment, conducteurs routiers, cuisiniers et serveurs de café-restaurant...
Leurs conditions de travail sont "souvent difficiles", relève l'enquête : contrats précaires, horaires lourds et décalés, "patrons et clientèle souvent exigeants". Ceux qui les acceptent sont en revanche sûrs de ne jamais fréquenter l'ANPE !
Par ailleurs, dans la foulée des ordonnances "Villepin" créant le contrat "nouvelles embauches", un arrêté (3) crée un crédit d'impôt en faveur des jeunes prenant un métier rencontrant des difficultés de recrutement, et ajoute à cette liste les maraîchers, jardiniers, viticulteurs, les ouvriers qualifiés des travaux publics, du béton et de l'extraction, les mécaniciens et qualifiés dans le travail des métaux, les caissiers et employés de libre-service et les bouchers, charcutiers, et boulangers...
Il faudra également tordre le cou à l'idée reçue que les fonctionnaires sont les locataires idéaux : ne serait-ce que parce qu'ils sont loin d'être tous titulaires, et que ceux qui ne le sont pas - les contractuels - ne bénéficient de moins de garantie de l'emploi que les salariés du privé ! Certes une loi du 26 juillet 2005 (4) transposant une directive communautaire vient de mettre un peu d'ordre dans un comportement de la part de l'Etat, il faut le reconnaître, d'un extrême cynisme : pour la première fois les agents engagés sur CDD auront droit au bout de 6 ans de présence à un CDI, mais rien ne dit pour le moment qu'un tel contrat confèrera les mêmes avantages en matière de sécurité de l'emploi que la titularisation, ni même des protections équivalentes à celles dont jouissent les salariés du privé en cas de licenciement !
Enfin, il faudra que les bailleurs puissent mieux apprécier le risque des candidats installés à leur compte, aux revenus souvent variables mais pas forcément mal assurés : il leur faudra pour cela s'intéresser à l'activité exercée et à ses perspectives d'évolution, et savoir décoder un bilan et un compte d'exploitation ; ils pourront ainsi éviter de "retoquer" des candidats qui auraient pu faire l'affaire...
Et ne pas omettre une fois pour toutes de renoncer à des discriminations aussi inutiles que répréhensibles, comme on a pu le voir avec une série d'affaires ayant conduit à la condamnation de propriétaires et d'agents immobiliers toulousains : l'expérience a prouvé depuis longtemps que les locataires étrangers ou de couleur ne sont ni meilleurs ni moins bons que les autres, et qu'en les refusant on se prive de locataires tout à fait convenables...
(1) INSEE Première n°1009 - mars 2005
(2) article 32 de la loi n° 2005-841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale
(3) Arrêté du 2 août 2005 relatif à l'instauration d'un crédit d'impôt en faveur des jeunes prenant un métier rencontrant des difficultés de recrutement
(4) loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique
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