ACTUS
Les projets de l'équipe Borloo-Daubresse sont-ils de nature à inquiéter les propriétaires bailleurs ?
Le
30/6/2004
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Il a suffi que le secrétaire d'Etat au logement laisse entendre qu'il pourrait étendre aux bailleurs privés le "gel" des expulsions instauré dans le parc HLM pour qu'une partie de la presse et les organisations de propriétaires agitent à nouveau, en plein retour en grâce de l'immobilier locatif, le spectre du désinvestissement ! Il faut reconnaître qu'après s'être sentis enfin compris et choyés pendant la période "Robien", dont les annonces ont été cependant plus nombreuses que les réalisations concrètes (à part le régime d'incitation fiscale qui porte son nom), ils ont quelques raisons de ne pas se reconnaître dans le virage "social" incarné par l'équipe Borloo-Daubresse, en charge aujourd'hui du logement et ce qui va avec, notamment le délicat équilibre des rapports propriétaires-locataires...
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Les propriétaires seront-ils - à nouveau, diront ceux qui s'expriment en leur nom et dont les plus anciens ont encore en mémoire la loi de 1948 et la loi "Quillot" - sacrifiés au nom de la cohésion sociale et du "droit au logement" ? Ceux qui plaident pour un rééquilibrage en faveur des propriétaires d'une législation et d'une pratique judiciaire par trop favorable selon eux aux locataires ont de fait quelques raisons de s'inquiéter ! Le vent ne souffle décidément plus dans cette direction et les timides espoirs nés des promesses du précédent ministre peuvent s'envoler s'ils considèrent avec réalisme le profil et les préoccupations des titulaires actuels du poste : Marc-Philippe Daubresse et son ministre de tutelle Jean-Louis Borloo...
Les projets annoncés sont-ils cependant si contraires aux intérêts des propriétaires ? Comme toujours, la réalité est plus complexe dès lors qu'on la regarde de près :
Le "gel" des expulsions
La mesure ne concerne pour le moment que les HLM. Une certaine presse à la lecture probablement trop rapide l'a interprétée comme un permis pour les locataires de ne plus payer leurs loyers ce qui est non seulement inexact mais constitutif d'une mauvaise action ! La réalité est toute autre et on peut en vouloir au secrétaire d'Etat de l'avoir si mal présentée : plutôt que d'insister sur le fait qu'elle n'était destinée qu'aux locataires de bonne foi - notion trop vague qui a provoqué maints sarcasmes, et fait dire que vus des services sociaux, tous les mauvais payeurs ont l'air de bonne foi - il aurait été mieux inspiré de mettre en valeur une autre condition à la suspension de l'expulsion, qui la rend quasi nécessaire, du moins à tout propriétaire sensé : la capacité du locataire à payer ses loyers et charges courants en attendant d'apurer son arriéré !
Du coup la mesure gouvernementale n'a rien d'un gel des expulsions (voir notre brève)mais d'une possibilité pour les bailleurs sociaux de conclure une convention avec un débiteur solvable cosignée par le préfet, permettant surtout de maintenir le bénéfice de l'APL ou de l'allocation logement, en principe suspendues en cas d'impayés, et accessoirement (les procédures existaient déjà mais leur mise en oeuvre était plus lourde) de mobiliser le FSL (Fonds de solidarité logement) ou de saisir la commission de surendettement...
Qui peut ne pas applaudir à une amélioration de la fluidité dans le traitement des situations difficiles mais pas compromises, quand on sait à quel point le temps et les tracasseries peuvent mettre la tête sous l'eau à des débiteurs qui, aidés au bon moment, auraient pu s'en sortir ? Pas les bailleurs sociaux en tous cas, qui ont accueilli la mesure favorablement !
Les mesures du plan de cohésion sociale
Présenté par Jean-Louis Borloo au Conseil des ministres du 30 juin, il comporte un volet "mobilisation du parc privé", avec une mesure qui devrait plaire aux propriétaires puisqu'elle renforce leurs moyens de recouvrement des loyers et charges en cas d'impayés : il confère en effet à ces créances le statut de "créance privilégiée" au même titre que les impôts, les organismes sociaux, etc.
Par ailleurs, "afin de permettre un recouvrement plus rapide et
plus sûr de la créance en cas d’impayé", il est prévu une amélioration de la procédure d’injonction de payer et une exécution par provision, indépendamment du jugement sur le fond, s’il y a litige".
S'il est difficile de suivre les auteurs du plan dans leur espoir que
la "confiance retrouvée" grâce à cette mesure permette "la mise sur le marché de 100 000 logements environ, ainsi que la réduction des cautions et avances de garanties", ce n'est pas franchement non plus une mauvaise nouvelle.
Sont également annoncées plusieurs mesures destinées à encourager un investissement qui n'a pas vraiment la cote, celui dans des logements "à loyers maîtrisés" : le gouvernement "mettra le paquet", avec des subventions, des mesures fiscales et une sécurisation des bailleurs :
- des subventions : ce seront celles de l’ANAH, dont les crédits seront affectés prioritairement à cet effet, avec un objectif de production de 20 000 logements en 2004, puis 40.000 par an pendant cinq ans ; les moyens de l’ANAH seront mobilisés dans le cadre d’un conventionnement "modernisé" et les primes versées seront cumulables avec l’amortissement "Robien" ; cette politique risque par contre de ne pas avantager, en ces temps de difficultés budgétaires, les bailleurs privés qui ne font pas de "social", et qui n'auront plus que les miettes d'une ANAH, dont le budget - en régression depuis deux ans - est sollicité de toutes parts...
- des mesures fiscales : pour faciliter les remises sur le marché - le plan ambitionne la reconquête de 100 000 logements vacants et le conventionnement, sur cinq ans, de 200 000 logements privés à "loyers maîtrisés" - une exonération pendant trois ans de la CRL (Contribution
sur les revenus locatifs) sera mise en place ; en outre, il est annoncé un dispositif fiscal "à vocation très sociale", qui cumulera l’amortissement fiscal Robien et une déduction forfaitaire de 40% !
- une sécurisation des bailleurs : le parc privé ainsi conventionné bénéficiera d’une "garantie mutualisée des risques locatifs", "financée par des cotisations des propriétaires qui seraient, en contrepartie, exonérés de la contribution sur
les revenus locatifs"...
Voilà donc enfin l'émergence d'un projet plusieurs fois mentionné par Gilles de Robien du temps où il était en charge que par le nouveau secrétaire d'Etat au logement, Marc-Philippe Daubresse : la sécurisation des loyers doit permettre aux bailleurs privés de louer plus facilement leurs logements à des candidats dont les ressources et la situation ne permet pas actuellement d'accéder à des locations adaptées à leurs besoins ; ce projet était débattu depuis deux ans dans un groupe de travail constitué au sein du Conseil National de l’Habitat, mais sans soulever d'enthousiasme chez les ténors de la défense du propriétaire privé : probablement parce qu'il rappelle la "CLU" (Couverture logement universelle) proposée par le gouvernement Jospin en plein campagne électorale de 2002 contre laquelle l'opposition de l'époque n'avait eu de mots trop durs...
Pourtant l'argument avancé avec constance est aussi démagogique que les commentaires sur le prétendu "gel" des expulsions : la déresponsabilisation du locataire qui ne verrait plus si son propriétaire est garanti pourquoi il s'obligerait à payer ! C'est en fait faire fi d'une réalité que les auteurs de cette argumentation ne peuvent ignorer : des garanties de ce type existent déjà et couvrent des centaines de milliers de baux - ce sont les contrats de garantie loyers impayés proposés par les compagnies d'assurance en direct aux bailleurs ou via les administrateurs de biens (notre article), ainsi que la garantie "Loca-pass" - sans qu'il y ait eu explosion des impayés pour une raison très simple apparemment ignorée des commentateurs : lorsqu'un organisme délivrant la garantie - assurance ou collecteur du 1% - intervient en indemnisation du propriétaire, il se retourne contre le défaillant pour récupérer son indemnité ! Sans impunité, pas de déresponsabilisation...
Enfin, une certaine catégorie de bailleurs, heureusement non représentative de la majorité des propriétaires privés, risque de faire grise mine face à la volonté affichée de lutter de manière plus décisive contre l’habitat "indigne" : il est en effet annoncé "un ensemble cohérent de mesures et de réformes du code de la santé publique et du code de la construction" ; une fois de plus serait-on tenté d'ajouter, puisque la loi "SRU" n'y avait déjà pas été de main morte ! Le plan précise que "les divers dispositifs de police administrative en matière de lutte contre l’insalubrité, d’immeubles menaçant ruine et d’établissements recevant du public à usage total ou partiel d’hébergement seront simplifiés et harmonisés", et que "les obligations respectives de l’Etat et de la commune en matière de relogement ou d’hébergement des occupants, en cas de défaillance des propriétaires, seront clarifiées"...
Dont acte !
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