ACTUS
Les bailleurs privés peuvent-ils faire de la location "sociale" ?
Le
5/2/2004
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L'alerte est donnée de toutes parts : le logement social, pourtant pièce essentielle de la lutte contre la précarité et les exclusions, est en crise, et les principaux acteurs doutent de la capacité du gouvernement malgré ses déclarations d'intention à mettre les moyens nécessaires pour redresser la situation de manière décisive ! Celui-ci le reconnaît implicitement en évoquant de façon de plus en plus insistante le recours aux bailleurs privés, en envisageant pour les convaincre à la fois la carotte et le bâton : d'une part l'amélioration des dispositifs d'incitation et des aides, mais aussi, de façon plus inattendue de la part d'une majorité qui n'avait eu de mots assez durs lorsque le précédent gouvernement avait fait voter la mesure, la taxation des logements vacants ! C'est ce qu'a fait le premier ministre hier en clôturant un colloque organisé par le ministère du logement sur le thème "Propriété pour tous"... Verra-t-on du coup revenir aussi la "CLU" ?
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Louer un logement "décent" (1) à des personnes à faibles revenus ou, pire, en situation de précarité suppose pour un bailleur de fortes incitations, et une sécurisation de son revenu autrement que par les moyens du droit commun ou ceux auxquels recourent les "marchands de sommeil" !
Or si des dispositifs existent, ils sont ni parfaits, ni pour le moment suffisamment portés à la connaissance de ceux qu'ils intéresseraient le plus, à savoir les propriétaires ou acquéreurs potentiels de logements de faible valeur, susceptibles d'être réhabilités au moyen de subventions...
Des incitations fiscales
La principale disposition en faveur de la location "sociale" par les bailleurs privés est celle du régime "Lienemann", variante du régime "régime Besson" pour l'ancien avec des plafonds de ressources et de loyers inférieurs. Même récemment revalorisés par les décrets "Robien" (2), ils cantonnent le bénéfice de ce régime à des ménages très modestes et des logements bon marché : à titre d'exemple dans l'agglomération parisienne, au moment da la location, le revenu fiscal de l’avant dernière année ne doit dépasser pour un couple marié 20.509 euros et le loyer 8,30 euros le m2 hors charges. Moyennant quoi le propriétaire a droit à une déduction forfaitaire de 60% sur ses revenus foncier au lieu de 14% dans le régime normal et 40% dans le régime "Besson" ancien toujours en vigueur (les intérêts d'emprunt, la taxe foncière, les travaux et certaines charges non récupérables sont déductibles en sus...).
Une autre disposition vise les bailleurs qui entreprennent la réhabilitation des parties communes d'un immeuble ancien dans une Zone franche urbaine - il y en a 41 en France (3) - et peut être cumulée avec la déduction "Lienemann" : elle permet au bailleur de déduire des travaux de démolition et reconstitution de façades, toitures, etc., et même la reconstruction de l'immeuble ou la création de nouveaux locaux, tous travaux normalement pas déductibles.
De surcroît, le déficit foncier résultant de ces déductions ou provenant d'autres dépenses (sauf les intérêts d'emprunts) peut être reporté sans limitation sur le revenu global pendant 5 ans s'il excède ce revenu, alors que ce report est normalement plafonné à 10.700 euros.
Par contre, une exonération pendant les trois premières années de l'imposition des revenus fonciers tirés de la location d'un logement à des bénéficiaires du RMI, des étudiants boursiers ou des associations qui mettent le logement à la disposition de personnes défavorisées a été supprimée à compter de l'imposition des revenus de 2001...
Les aides à la réhabilitation
Louer en dessous du marché et avoir tout de même une rentabilité incitative suppose de ne pas payer cher le bien qu'on affecte à ce type de location : cela exclut donc pratiquement le neuf, et porte dans l'ancien vers des biens en mauvais état, probablement inlouables tels quels, et par conséquent à réhabiliter. Avec un prix d'acquisition faible, la limitation de l'investissement peut alors venir de l'obtention de subventions et aides (notamment sous forme de prêts) pour les travaux de réhabilitation.
Ce sont celles que peut avoir tout bailleur auprès de l'ANAH (Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat), auxquelles peuvent s'ajouter en fonction de la localisation de nombreuses aides départementales ou municipales (4) ; s'ajoute une prime spéciale de l'ANAH d'aide à la remise en location des logements vacants si le logement est loué en respectant certains plafonds de loyer ou dans certaines zones : la prime est de 3 000 euros si le logement est situé dans une commune concernée par la taxe sur les logements vacants et de 1 500 euros si le logement est dans une commune avec un taux de logements sociaux inférieur à 20 % du total des logements...
Des organismes qui prennent en charge la réhabilitation, la location et la gestion...
Le cas le plus typique est celui de la SIEMP (5) à Paris qui assure une prise en charge complète d'une mise en location "sociale" d'un logement privé, depuis les travaux de réhabilitation, pour lesquels elle se charge d'obtenir les subventions ANAH et Ville de Paris auxquelles le bien est éligible et un prêt complémentaire pour la partie non couverte, et dont elle assure la maîtrise d'oeuvre, jusqu'à la location - à des demandeurs de logement inscrits auprès de la Ville de Paris et bénéficiaires de l'aide "Loca-pass" - et la gestion ! Le logement peut être loué sous le régime "Besson" ou sous le régime "Lienemann" et dans ce dernier cas avec une garantie de paiement des loyers en cas de vacance entre deux locataires ou au delà du Loca-pass en cas d'impayés et remise en état de l'appartement au départ du locataire si les dégradations sont supérieures au montant du dépôt de garantie...
La SIEMP propose aussi de louer les logements à des étudiants boursiers inscrits au CROUS, toujours avec la garantie "Loca-pass", pour des saisons successives de 10 mois.
Citons aussi les AIVS (Agences immobilières à vocation sociale), associations subventionnées en général par des villes, qui remplissent ici et là à peu près la même fonction. regroupées dans la FAPIL (Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement), une trentaine d'AIVS ont été créées en dix ans en France, gérant plus de 7.000 logements. D'après ses chiffres, 70% des 15.000 ménages qui ont eu recours à une AIVS, louaient pour la première fois de leur vie, et aujourd'hui la moitié des locataires en place dans les logements gérés vit avec les minima sociaux...
Des garanties pour le paiement du loyer et l'indemnisation des dégradations
La location "sociale" n'est pas sans filets de sécurité : notamment la garantie "Loca-pass", accessible pratiquement à tous les salariés et aux jeunes de moins de trente ans étudiants boursiers, en formation professionnelle, en recherche d'emploi ou en CDD, et qui couvre jusqu'à 18 mois de loyers impayés. Un inconvénient toutefois à cette garantie qui n'est pas un "filet" parfait : l'organisme délivreur intervient comme un garant, et pendant la période de règlement aucune action judiciaire ne peut être entreprise et, si le locataire ne quitte pas les lieux de lui-même, le problème reste entier pour le propriétaire à la fin des 18 mois... Autre inconvénient : les dégradations ne sont pas couvertes !
Ces deux inconvénients n'existent pas pour les assurances privées, de plus en plus nombreuses à proposer des formules de garantie, y compris aux propriétaires qui gèrent leurs biens en direct (6) : celles-ci prennent en charge les détériorations ainsi que le contentieux, qui est ouvert sans tarder de sorte que la procédure puisse aller - au moins théoriquement - jusqu'à l'expulsion avant la fin de la période d'indemnisation. Par contre, elles exigent un dossier de locataire irréprochable, avec justification de revenus réguliers et pérennes (donc salariaux) à hauteur de 3 fois le montant du loyer et des charges. Cela exclut d'emblée un certain nombre de candidats : CDD, intermittents, artisans à leur compte, etc. Ces derniers ne bénéficient pas non plus du Loca-pass...
Vers un retour aux recettes du précédent gouvernement ?
Découvrant peut-être un peu tard les effets désastreux des restrictions budgétaires alors que l'ampleur de la pénurie de logement social, mise en lumière une fois de plus par la Fondation Abbé Pierre, est aussi confirmée par le Conseil économique et social (notre brève), et par le Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées (7), le gouvernement semble désormais, et à l'approche des élections régionales, vouloir faire feu de tout bois, et mobilise sa communication sur le thème du "mal-logement" !
Après le président de la République, c'était hier le tour de Jean-pierre Raffarin de donner dans le compassionnel, reconnaissant que "les trois millions de mal-logés dont l'abbé Pierre fait la cause de sa légitime indignation révèlent les limites de la politique du logement" et annonçant un débat national sur le logement social à l'automne ! Exactement ce qu'avait demandé la Fondation abbé Pierre lundi lors de la publication de son rapport 2004 (8), particulièrement alarmiste...
Clôturant un colloque plutôt axé sur l'accession sociale, le premier ministre a cependant reconnu la nécessité d'une mobilisation plus forte de l'immobilier locatif privé, en jouant du double registre de la contrainte et de l'incitation :
- réquisition des biens des "marchands de sommeil" qui "exploitent la misère de façon inacceptable en offrant des conditions de logement inadmissibles et en refusant les travaux nécessaires" et campagne "incitant les propriétaires de logements vacants à les remettre sur le marché rapidement", et à défaut de résultats renforcement de la taxe sur les logements vacants !
- sécurisation des propriétaires en suggérant que les collectivités locales se substituent au locataire défaillant "le temps qu'une solution de relogement adaptée soit trouvée"...
S'il est savoureux de voir l'actuel gouvernement trouver des qualités à une taxe dont l'actuelle majorité avait dit pis que pendre du temps où elle était dans l'opposition, n'allons-nous pas le voir également découvrir des vertus à la "CLU" (Couverture logement universelle), proposition ultime de la précédente ministre du logement (9), dont les détracteurs dans le climat de la campagne électorale ont un peu vite négligé qu'elle était d'abord destinée à sécuriser les bailleurs qui se risqueraient dans la location à caractère social...
(1) les critères du logement décent ont été fixés par un décret du 30 janvier 2002 et s'appliquent à toutes les locations, meublées ou non, et aux logements de fonction
(2) voir les valeurs dans la section des indices et chiffres-clés - ces valeurs s'appliquent aux baux conclus en 2003, celles pour 2004 n'étant pas encore parues...
(3) voir sur le site du ministère de la ville
(4) voir la récapitulation des aides et subventions sur le site du Club de l'amélioration de l'habitat ; elle date d'avril 2003 mais elle est toujours actuelle...
Voir aussi ou télécharger le document d'information mis à jour en novembre 2003 sur les conditions d'attribution des subventions sur le site de l'ANAH
(5) Société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris, créée en 1956 pour gérer et entretenir des immeubles de la Ville de Paris et réaliser pour son compte des opérations de construction neuves...
(6) notre article
(7) Voir le rapport
(8) Voir le rapport
(9) notre article
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